ANALYSES

Quels sont les enjeux d’une éventuelle intervention en Syrie ?

Interview
26 août 2013
Le point de vue de Didier Billion
Alors que les inspecteurs de l’ONU enquêtent sur les accusations d’utilisation de l’arme chimique perpétrée par le gouvernement de Bachar Al-Assad près de Damas, la France, les Etats-Unis et le Royaume-Uni semblent envisager une option militaire, et ce, malgré les mises en garde de Moscou et Téhéran. Quelles seraient les répercussions diplomatiques d’une telle action ?

Pour l’heure, nous sommes dans un jeu de posture politico-médiatique. Un certain nombre de déclarations proviennent des Etats-Unis, de la France, du Royaume-Uni, sans que pour autant une décision d’intervenir militairement ne soit prise.
D’une part, le premier obstacle est bien évidemment que, si intervention militaire il y a, cela se fera sans mandat de l’ONU ce qui pose pour le moins un problème majeur du point de vue du droit international et de la légalité internationale.
D’autre part, le président des Etats-Unis, élément déterminant dans l’hypothèse d’une intervention militaire, est lui-même extrêmement hésitant depuis déjà des semaines. En effet, il a conscience qu’une telle action engendrerait des conséquences politiques et diplomatiques négatives de premier ordre et risquerait de déstabiliser encore un peu plus la région, laquelle se trouve déjà dans une situation extrêmement préoccupante du point de vue des équilibres politiques.
A ce titre, un certain nombre de déclarations de dirigeants britanniques et français, peuvent paraître irresponsables, dans la mesure où ils n’hésitent pas à agiter le nécessaire recours à la force sans sembler toutefois, au-delà même de la portée du discours, mesurer les conséquences pratiques que pourraient avoir une telle intervention.
Au-delà de cette agitation politique et médiatique qui dure depuis mercredi dernier, date à laquelle il y aurait eu utilisation d’agents chimiques contre une partie de la population, il faut donc prendre conscience que nous ne sommes pas à la veille d’une intervention militaire. D’autant plus qu’une telle opération nécessiterait, aux Etats-Unis, l’accord du Congrès, lequel ne se réunira pas avant la semaine prochaine.
Ainsi, au-delà de cet emballement, il faut savoir mesure garder, continuer à faire pression sur le gouvernement Assad et savoir prendre le recul nécessaire afin de décrypter plus avant les déclarations multiples et variées, tout en vérifiant les faits qui sont avancés.

Ces derniers jours, la contagion du conflit syrien vers le territoire voisin libanais s’est intensifiée, notamment au travers d’attentats visant, d’une part, la banlieue sud de Beyrouth, bastion pro Assad, et, d’autre part, la ville de Tripoli, dont une partie de la population soutient les insurgés. Est-il réaliste d‘envisager qu’une intervention de la communauté internationale pourrait ramener la stabilité dans la région ?

Tout d’abord, il n’y aura pas intervention de « la communauté internationale » car elle n’existe pas. C’est d’ailleurs là le problème tragique depuis deux ans en Syrie car la Russie, et la Chine dans une moindre mesure, demeurent des soutiens indéfectibles au régime de Bachar Al-Assad. Ce ne sera donc pas la dite « communauté internationale » qui interviendra mais une partie des puissances membres de l’ONU.
Ensuite, si intervention militaire il y avait de certaines puissances (et probablement de puissances occidentales), est ce que cela pourrait contribuer à restaurer la stabilité régionale ? C’est exactement le contraire.
Si le recours à la force était utilisée en Syrie, il faudrait craindre que le maillon faible de la région, c’est-à-dire le Liban, ne tombe à son tour dans le chaos d’une guerre civile renouvelée. Depuis une dizaine de jours déjà, un certain nombre d’attentats croisés se développe, ce qui n’est pas sans rappeler la guerre civile libanaise, et polarise totalement la situation politique dans ce pays. Par ailleurs, le Liban n’est pas très assuré politiquement car divisé en deux blocs, l’un soutenant le régime de Bachar Al-Assad, l’autre apportant son soutien aux insurgés. Une des conséquences quasi immédiate d’une possible intervention militaire serait donc de plonger à son tour le Liban dans le chaos. N’oublions pas du reste qu’un autre Etat de la région, moins médiatisé mais tout aussi faible structurellement, la Jordanie, pourrait à son tour être soumis à cette onde de choc qui succéderait à une intervention militaire.
N’oublions pas non plus que ces éléments interviennent alors que l’Irak retombe à son tour dans une situation très préoccupante puisque depuis plusieurs semaines déjà, les attentats meurtriers se multiplient. Une intervention militaire ne pourrait qu’aviver les tensions qui traversent cette partie du Moyen-Orient, cela ne serait favorable à aucune solution et ne contribuerait pas à régler la question syrienne.

Le gouvernement turc a déclaré se tenir prêt à rejoindre une coalition internationale dirigée contre la Syrie. Quels sont les intérêts de la Turquie à intervenir, notamment au regard de la question kurde ?

Depuis l’été 2011, la Turquie est l’un des Etats, sur le plan international, le plus mobilisé contre le régime de Bachar Al-Assad. Il existe en effet plus qu’une posture de la part des dirigeants turcs, laquelle vise à faire tomber le régime de Damas. Il n’est donc pas étonnant que les responsables politiques aient fait savoir qu’ils étaient prêts à participer à une intervention militaire, sans toutefois définir les termes de cette intervention ou évoquer sa légalité internationale le cas échéant. Cela procède du fait qu’une forme de tension est montée graduellement depuis 2 ans entre le régime turc et le régime syrien. Incontestablement, le premier Ministre Erdogan veut en finir avec ce voisin qu’il considère comme une nuisance pour la stabilité régionale.
Effectivement, la question kurde est un paramètre essentiel de la situation. Il y a deux semaines, de violents combats ont éclaté entre des groupes kurdes et des groupes djihadistes dans le Nord Est de la Syrie. Preuve s’il en est que l’opposition à Bachar Al-Assad est extrêmement désunie, qu’il n’existe pas de perspectives communes, exceptée celle de faire tomber le régime de Damas, sans quoi toutes les divergences subsistent en son sein. Le problème pour la Turquie est que la principale composante des Kurdes de Syrie est par ailleurs très proche du Parti des travailleurs du Kurdistan, le PKK, organisation menant des combats contre l’Etat turc depuis 1984, bien qu’aujourd’hui insérée dans un processus de négociations avec le pouvoir.
Dès lors, la Turquie comprend bien que la dimension kurde de la déstabilisation régionale est un facteur incontournable. Demeurant prudente, elle tente de jouer les médiateurs afin que les Kurdes de Syrie et les Kurdes de Turquie ne succombent pas à la violence mais privilégient une solution politique. Il s’agit donc là pour l’Etat turc d’un problème transnational qui contribue à complexifier encore la situation en Syrie.