ANALYSES

Présidentielles en Iran : vers un changement de méthode ?

Interview
11 juin 2013
Le point de vue de Thierry Coville
Vendredi prochain (14 juin) se déroulera le premier tour de l’élection présidentielle iranienne. Quel bilan peut-on dresser des années Ahmadinejad, qui ne peut être candidat à sa propre succession après avoir accompli deux mandats ?

En Iran, le bilan est généralement jugé négatif, surtout à cause de la situation de crise économique que connaît actuellement le pays. L’inflation est au-dessus de 40%, le taux de chômage est supérieur à 15%, le taux de change sur le marché parallèle s’est effondré. Ahmadinejad peut être jugé responsable, notamment à cause de son premier mandat, pendant lequel il a dépensé les revenus pétroliers de l’Iran sans discernement et donc contribué à l’accélération de l’inflation. Pour son deuxième mandat, c’est un peu plus compliqué parce que l’accélération de l’inflation a été essentiellement provoquée par la politique de suppressions de subventions, notamment sur l’énergie, appliquées depuis la fin de 2010 par Ahmadinejad. Je pense que c’est une politique qu’il a eu raison de mener et que l’on peut porter un jugement positif sur son application (même si cette politique a donné lieu à de nombreuses critiques en Iran). Actuellement, l’inflation est en grande partie due aux sanctions liées au dossier nucléaire iranien. Ahmadinejad a peut-être provoqué les sanctions par son style – mais qui peut dire qu’avec un autre président, il n’y aurait pas eu de sanctions ? C’est difficile à dire. Je pense qu’Ahmadinejad est un bouc-émissaire facile pour le régime en ce qui concerne la crise économique.
Sur la politique étrangère, il faut bien voir que quand il a été nommé président, le régime avait lui-même décidé de durcir le ton sur le nucléaire. Ahmadinejad a certainement été très loin dans la manière dont il a radicalisé les relations de l’Iran avec les pays occidentaux, à travers un discours de provocation – on se souvient de ses déclarations sur Israël. Mais sur la politique étrangère, le bilan n’est pas forcément jugé négatif en Iran. Un certain nombre de gens vont dire qu’il a mené une politique « offensive », et défendu les intérêts nationaux de l’Iran. En revanche, beaucoup de gens le critiquent aussi sur sa méthode, en disant qu’il a été trop agressif, et la jugent en partie responsable du blocage sur le dossier nucléaire iranien.

Quelles sont les chances de voir se reproduire un scénario similaire à celui de 2009, lorsqu’un mouvement de manifestation d’ampleur avait suivi un scrutin au résultat contesté ?
Tout est toujours possible en Iran. Dans ce domaine-là, l’Iran a toujours réservé des surprises. La situation est tout de même très différente de celle de 2009, dans le sens où il n’y a pas de candidat comme Hossein Moussavi qui représente un véritable projet de société. Moussavi s’était retrouvé en phase – malgré lui d’une certain façon – avec l’évolution et la modernisation de la société iranienne. Ce candidat portait les espoirs de la classe moyenne iranienne, urbaine, éduquée. Il y a eu une adéquation entre lui et cette classe moyenne, qui a conduit au « mouvement vert ». Là, on ne le voit pas trop car les candidats n’ont pas son envergure. Ils ne vont pas s’aventurer sur des questions de société, car ils ont été choisis comme étant fidèles à la ligne du Guide suprême, et ne remettent pas en cause le système. En plus, la classe moyenne iranienne, et les Iraniens en général, doivent faire face à une crise économique grave, et n’ont pas envie d’aller affronter les forces de police dans la rue. L’exemple de la Syrie ne leur donne pas envie d’en passer par là pour voir une évolution politique. A priori, je ne vois pas un scénario similaire à celui de 2009 se reproduire.

Existe-t-il des différences notables entre les programmes de chacun des candidats ? Le résultat de cette élection peut-il avoir une influence sur l’orientation de la politique étrangère iranienne, et sur la position de l’Iran sur le dossier nucléaire ?

Il n’y a pas de différences notables entre les candidats. Il y a une petite opposition cependant : six candidats sont plutôt conservateurs, et deux candidats font partie du camp réformateur. Mais déjà, un des deux réformateurs, Mohammad-Reza Aref, a abandonné la course à la présidence aujourd’hui (11 juin). Globalement, cette élection a été faite pour que tous les candidats restent dans la ligne du Guide, et qu’ils ne menacent pas les structures institutionnelles iraniennes – notamment le pouvoir du Guide.
Il peut y avoir un changement dans la méthode, qui sera pour beaucoup lié à la personnalité du président qui sera élu. On voit très bien que certaines personnalités s’affichent très conservatrices, comme Saïd Jalili – le négociateur sur le dossier nucléaire iranien. Mohammad Ghalibaf, le maire de Téhéran, se donne plutôt une allure « moderne ». Il est également plus modéré, partisan de la négociation sur le nucléaire. Il s’agit surtout de différences de personnalité, mais qui peuvent avoir un impact sur le type de politique qui sera mené. Par exemple, on peut penser qu’Hassan Rohani était plus partisan du dialogue pour régler le dossier nucléaire. Mais cela ne veut pas dire que les objectifs de fond de l’Iran changeraient. Il s’agit d’une structure collective, qui repose sur le consensus. C’est plutôt dans la méthode qu’on pourra voir un changement.
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