ANALYSES

Présidentielles en Iran : vers un système de plus en plus autoritaire ?

Interview
23 mai 2013
Le point de vue de Karim Pakzad
Qui valide les candidatures à l’élection présidentielle en Iran ? Quelles sont les conditions pour être candidat?

L’institution en charge de la validation, ou non, des candidatures est le Conseil des gardiens de la constitution, composé d’une quinzaine de membres sélectionnés pour leur fidélité au régime et surtout au Guide Suprême de la République islamique d’Iran, l’Ayatollah Khamenei. Le Conseil valide les candidatures aux élections présidentielles, législatives et municipales, seuls domaines dans lesquels des scrutins sont organisés : aucun des autres centres de pouvoir et institutions qui détiennent l’essentiel du pouvoir économique ou juridique en Iran ne sont élus.
Les critères de validation des candidats par le Conseil ne sont pas objectifs, ni fondés sur des éléments concrets. Les gardiens de la constitution jugent de manière arbitraire et ne sont pas tenus de justifier leurs décisions. Cependant, certains critères subjectifs qu’on peut interpréter à souhait sont connus. Les candidats doivent être conformes à l’idéologie, aux fondements de la République islamique, et surtout obéir au Velayat-e Faqih. Intangible en Iran, ce principe consacre la primauté du Guide suprême sur toute chose, y compris sur ceux qui sont démocratiquement élus, comme le président de la république. Les critères sont donc tout à fait arbitraires, et dépendent de l’orientation politique du moment.

Des candidats importants et principaux ont été invalidés… Quelles en sont les raisons?

Cette année il y a eu plus de 600 candidats, dont une dizaine de candidats sérieux. Parmi eux, trois ou quatre étaient susceptibles de représenter différents courants d’idées politiques.
L’ancien président de la République, Akbar Hachémi Rafsandjani, qui avait exercé deux mandats de 1989 à 1997, est un des fondateurs de la République, très proche du père de la révolution islamique, l’ayatollah Khomeini. Il a dirigé la guerre Iran-Irak et convaincu l’Ayatollah de mettre fin à cette guerre. Il a été l’artisan de l’ouverture de l’Iran dans les années 90… Aujourd’hui il est considéré comme un centriste, partisan de l’ouverture de l’Iran avec l’étranger, notamment sur le plan économique. Dans les élections de 2013, il était aussi soutenu par le clan réformateur. Il semble donc que l’invalidation de sa candidature, qui avait toutes les chances de l’emporter, montre que le camp conservateur et radical avait peur qu’il soit élu.
Deuxième candidat important invalidé, Esfandiar Rahim Mashaïe, qui est le bras droit du président sortant, Ahmadinejad. Il est considéré comme l’inspirateur de la politique intérieure iranienne de ces deux dernières années, où on a constaté que l’extrémiste radical qu’était Ahmadinejad a fait un virage inattendu en privilégiant des slogans et postures nationalistes plus qu’islamistes. Or, aucun conservateur ne pouvait risquer que le prochain président de la république remette en cause certains principes et dogmes qui fondent la République islamique.
L’invalidation de la candidature de Rafsandjani, qui avaient une chance d’aboutir, a créé un choc en Iran chez une partie important de la population qui souhaite un changement. Il apparaît de plus en plus clairement que le Guide a décidé que le président doit être totalement obéissant à ses vues, et que rien n’échappe à sa volonté et sa main mise sur le pouvoir exécutif. Les deux mandats du président Khatami et surtout la fin du mandat de Ahmadinejad pourtant son protégé au début, montre que malgré un pouvoir limité, le président de la République peut modifier certaines règles du jeu, s’il a la volonté de le faire.

Quelles sont les conséquences de ces choix du Conseil des gardiens de la Constitution ?

La décision d’invalider les deux candidatures est perçue par la presse, y compris conservatrice, comme un événement majeur de la vie politique iranienne. Ceux qui connaissent le rôle de Hachémi Rafsandjani dans la naissance et la direction de la République Iranienne ne comprennent pas pourquoi il a été écarté.
L’Iran est actuellement isolé internationalement. Les embargos pénalisent le pays sur le plan financier et économique. Les radicaux et le Guide pensent que l’arrivée au pouvoir de Rafsandjani pourrait vraiment bouleverser la donne. En effet, tous (Iraniens et Occidentaux) s’attendaient à ce qu’il ouvre davantage le pays vers l’extérieur et sorte l’Iran de son isolement, en contribuant à la résolution du dossier nucléaire. En invalidant sa candidature, le Guide a fermé la porte à toute possibilité d’évolution de la situation actuelle.
Cependant c’est un risque considérable qu’a pris le Conseil des gardiens de la constitution. Rafsandjani bénéficie d’un large soutien populaire chez les commerçants, les classes moyennes, et une partie importante du clergé traditionaliste. Contrairement au passé, cette fois il a également le soutien des réformateurs, notamment de l’ancien président Mohamad Khatami. Cette invalidation vide donc l’élection de tout son sens. Le pouvoir pourra toujours annoncer des taux de participation élevés, elle sera en fait très faible car une large partie de la population des bazars, des religieux, des nationalistes et des opposants réformateurs vont boycotter le scrutin. Or, la République mettait toujours en avant l’organisation d’élections « démocratiques » et la participation de la population comme un succès du régime islamique. Cette fois-ci, on peut d’ores et déjà dire que l’élection de juin n’aura aucune valeur « démocratique ». Les candidats du même camp s’affrontent entre eux-mêmes. Celui qui sera élu sera celui soutenu par le Guide. Actuellement on parle davantage de Saïd Jalili, actuel négociateur iranien du dossier nucléaire, qui représente la droite conservatrice en Iran, ou bien de Mohammad Bagher Ghalibaf, maire de Téhéran.
La vie politique iranienne est de toute façon plus que jamais fermée, et le système iranien devient de plus en plus un système autoritaire qui ne respecte même pas ses propres règles et lois.
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