ANALYSES

Hamid Karzai en Inde : où en sont les relations afghano-indiennes ?

Interview
22 mai 2013
Le point de vue de Olivier Guillard
Hamid Karzai vient chercher en Inde une assistance militaire. Que prévoyait l’accord stratégique entre les deux pays sur le sujet ? Que demande-t-il de plus ?

Deux ans tout juste après la visite à Kaboul du Premier ministre indien Manmohan Singh, un semestre après sa dernière visite à Delhi, le chef de l’Etat afghan revient dans la capitale indienne pour une courte visite officielle (deux jours) ; un lieu qui lui est de longue date familier, ayant été un temps étudiant en Inde. Ce n’est naturellement pas la nostalgie qui pousse Hamid Karzai à renouveler dans un laps de temps aussi rapproché son déplacement dans la capitale indienne ; plutôt le besoin d’obtenir, de consolider plus fermement, toutes affaires cessantes si possible alors que se profile le retrait des dernières troupes de combat otaniennes de son pays en fin d’année prochaine, le concours – multiforme – du gouvernement indien dans le paysage afghan post-2014. Une période que d’aucuns anticipent comme délicate, incertaine, chargée de défis complexes à relever pour les fragiles autorités afghanes, pour la population, pour la communauté internationale et notamment pour les nations voisines, au rang desquelles figure la patrie de Nehru et Gandhi, nonobstant l’absence de frontière commune entre le deux Etats (séparés par plusieurs centaines de km de territoire pakistanais).
S’appuyant sur un historique de relations politiques cordiales – dont un Traité d’Amitié bilatéral paraphé en janvier 1950 -, de rapports culturels et commerciaux anciens libres de différend majeur, Kaboul et New Delhi ont conclu à l’automne 2011 (4 octobre) un accord de partenariat stratégique, lequel emporte une dimension politique et sécuritaire forte – en ce sens qu’il réserve notamment à l’Inde le soin d’entraîner et d’équiper une partie des forces de sécurité afghanes (armée ; police)-, mais présente également un volet d’assistance substantiel en matière de développement, d’éducation, ainsi que dans les domaines économique, commercial, scientifique, technologique, culturel. Un spectre large, ambitieux, à l’image des besoins multiples de ce théâtre de crise sans fin.

Le Président Karzai attend probablement de Delhi qu’elle s’investisse à court – moyen terme militairement parlant plus significativement – en dépêchant des troupes et non seulement des instructeurs, par exemple, ou encore en fournissant davantage de matériels militaires, des dépenses terriblement coûteuses pour les finances afghanes exsangues -, ce que le gouvernement indien (par ailleurs actuellement malmené par un florilège de problèmes internes) ne privilégie pas exactement, le souvenir d’une décevante et douloureuse intervention similaire au Sri Lanka (Indian Peace Keeping Force – IPKF) à la fin des années quatre-vingt perdurant à Delhi.

Quelle est l’influence de l’Inde dans la région? Quelle place tient l’Afghanistan dans sa politique extérieure ?

Si les relations entre Kaboul et Islamabad demeurent en 2013 marquées du sceau de la méfiance – du fait d’une politique ingérente pakistanaise de tous les instants ces dernières décennies -, les rapports indo-afghans sont d’une bien meilleure eau, l’image de Delhi auprès des autorités afghanes comme de la population considérablement plus positive ; une situation qui, ainsi qu’on le devine, ne satisfait pas le gouvernement pakistanais… Lors de la décennie écoulée, l’Inde a été un des pays les plus « généreux » vis-à-vis de l’Afghanistan, allouant à la reconstruction du pays une enveloppe dépassant les 2 milliards de dollars, ventilés entre la rénovation des infrastructures (routières et ferroviaires notamment), diverses expertises techniques indispensables (ingénierie et travaux publics ; télécommunication ; transports ; agriculture) et pléthore de formations (éducation, santé, informatique, etc.) dispensées parallèlement sur le sol afghan et en Inde. Si la perception du citoyen afghan vis-à-vis du Pakistan est celle d’un voisin volontiers et volontairement déstabilisant, celle attachée à l’Inde est infiniment plus bienveillante, sans pour autant la considérer comme totalement désintéressée…
A l’heure où l’Inde réémerge – via notamment sa croissance économique vigoureuse de ces deux dernières décennies et son soft power – sur la scène internationale, de ses ambitions extranationales nouvelles, la place qu’occupe l’Afghanistan dans sa politique étrangère immédiate (géographiquement) ne doit pas être minimisée, même si des dossiers plus lourds, dans ce registre diplomatique complexe, requiert avant tout l’essentiel de son attention (cf. relations indo-pakistanaises, indo-américaines ou encore sino-indiennes, notamment). La façon dont Delhi se positionnera à l’avenir – à son avantage et avec des résultats probants ; ou avec difficulté et dommages collatéraux rédhibitoires – dans le bourbier afghan constitue au printemps 2013, aux yeux de nombre d’observateurs indiens et étrangers, une interrogation à 1 million de roupies.

Que devrait changer le retrait des troupes occidentales d’Afghanistan en 2014 pour l’équilibre de la région ? Sera-t-il plus difficile pour l’Inde de composer avec les autres puissances voisines ?

On sait aujourd’hui que le retrait des troupes otaniennes (à commencer par son volet américain, majoritaire aujourd’hui et tout autant en 2015) fin 2014 ne sera pas total, que demeureront sur le sol afghan plusieurs milliers d’hommes (forces spéciales notamment, formateurs) à qui seront assignés des tâches d’encadrement, de formation et de contre-insurrection et/ou anti-terroriste (Al-Qaïda). Jusqu’à ce jour, le gouvernement et l’armée indienne n’ont pas proposé de compenser numériquement, en déployant l’ Indian Army ou des forces paramilitaires, le départ des hommes de l’ISAF, un pari audacieux et difficile à vendre auprès d’une opinion publique indienne échaudée… et plus encore auprès des autorités pakistanaises, militaires notamment, pour qui l’Afghanistan se conçoit avant tout – bien à tort – comme un pré carré naturel d’Islamabad où l’influence indienne doit être limitée à sa plus simple expression.
Naturellement, le sens de l’histoire ces dernières années, observant un investissement indien sérieux (et courageux) dans ce pays enclavé, pauvre et à bout de souffle après plus de trois décennies consécutives de crises, est loin de correspondre aux priorités stratégiques du Pakistan, historiquement plus soucieux de composer sur son flanc occidental avec un gouvernement faible, fragile et pakistanophile, qu’avec des autorités afghanes légitimes, consensuelles et indophiles.
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