ANALYSES

Italie : le nouveau gouvernement saura-t-il retrouver la confiance de l’opinion publique

Interview
26 avril 2013
60 jours après les élections, l’Italie va avoir un gouvernement. Qu’est ce qui a débloqué la situation?

Il aura effectivement fallu 60 jours aux partis politiques italiens pour sortir du blocage qui avait débuté avec les résultats des élections législatives des 24 et 25 février. Pour mémoire, ces élections n’avaient pas permis l’émergence d’une majorité claire, mais plutôt celle de trois grosses minorités. Ces trois blocs sont : le Parti démocrate qui a la majorité à la chambre des députés mais pas au Sénat, et qui va donc être considéré comme le parti pivot du Parlement italien ; le centre droite de Silvio Berlusconi ; et le mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo.
Ces trois blocs n’étaient pas arrivés à trouver un accord pour la formation d’un gouvernement. Le centre gauche, refusant toute alliance avec Silvio Berlusconi, privilégiait les dialogues avec le mouvement 5 étoiles qui, lui, refusait tout dialogue avec les deux autres partis.
Le Parti démocrate s’est donc révélé incapable d’élire tout seul un Premier Ministre, et le même scénario s’est répété pour l’élection du Président de la République (qui arrivait lui-même au terme de son mandat de 7 ans). Il n’a pas su non plus avoir une stratégie d’alliance claire pour cette élection. Il y avait par conséquent un blocage total du système, qui avait un Président de la République en fin de mandat, aucun gouvernement, et des partis politiques souffrant d’une crise de confiance de la part de l’opinion publique.
Ce qui a débloqué la situation, c’est la disponibilité de Giorgio Napolitano, le Président de la République sortant, à rempiler pour un deuxième mandat. Malgré ses 88 ans, il présentait plusieurs avantages. Il jouit d’une certaine popularité auprès de l’opinion publique, et il était considéré comme acceptable à la fois par Silvio Berlusconi et par le Parti démocrate. Le centre gauche et le centre droite se sont donc accordés sur ce nom, après l’échec des négociations entre le Parti démocrate et le mouvement 5 étoiles.

Giorgio Napolitano a posé une condition au renouvellement de son mandat: la formation d’un gouvernement et la fin des blocages. Il a donc poussé très fortement le parti démocrate à accepter une alliance avec Berlusconi. Affaibli par des dissensions internes qui lui ont fait risquer l’implosion, le parti n’a eu d’autre choix que d’accepter. Cependant, l’alliance reste mal vue par la base électorale de centre gauche, ce qui se répercute dans les sondages.

Qui est Enrico Letta ?

Les élections du 25 février ont donné un résultat clair : les Italiens veulent du changement. Le parti démocrate et le parti du Peuple de la Liberté souffrent d’une hémorragie des votes considérable. A l’inverse, le mouvement 5 étoiles, fondé il y a quelques années à peine sur une plate-forme contestataire, s’est imposé comme l’une des majeures forces politiques du pays avec 25% des voix.
Face à cette demande de changement, si la réélection d’un Président de la République de 88 ans s’était accompagnée de la nomination d’un Premier ministre appartenant à la classe politique traditionnelle, comme Giuliano Amato, qui était le candidat le plus fort pour ce poste, la popularité de l’exécutif aurait été de très très courte durée. De ce point de vue, Enrico Letta présente plusieurs avantages. Tout d’abord, il est jeune. A 46 ans, c’est le deuxième plus jeune Premier ministre de l’histoire italienne, et le plus jeune premier ministre des grands pays européens – il a quelques mois à peine de moins que David Cameron.
Il apporte aussi un vernis de nouveauté à un exécutif qui reste une prolongation de l’expérience Monti. Après tout, à l’image d’Enrico Letta, Mario Monti était soutenu à la fois par Berlusconi et par le Centre gauche. Certes, la plate-forme technocratique du gouvernement Monti va être modifiée, mais pour l’opinion publique, c’est comme s’ils avaient voté pour en rester au même résultat.
Un autre avantage d’Enrico Letta est qu’il est un homme de réseau. Il a été dans la direction et / ou la fondation de plusieurs think tanks, il a un profil institutionnel, c’est plutôt un centriste modéré, il a des relations familiales : son oncle est le bras droit de S. Berlusconi… Tout cela fait de lui un candidat qui, à la fois pouvait être à accepté par le centre droite et qui devait être accepté par le parti démocrate, dont il est le numéro deux. Même s’il y a une fronde interne au parti, en particulier contre l’accord avec Silvio Berlusconi, il était difficile pour les démocrates de refuser E. Letta, avec la pression du Président de la République, le blocage de ces 60 derniers jours, et le fait qu’après tout, le parti démocrate peut quand même se targuer d’avoir « gagné » la présidence de la chambre des députés, du Sénat, de la République, et le poste de Premier ministre.

Quelles sont les chances de succès du nouveau gouvernement ?

Les partis sont liés par la condition que Giorgio Napolitano a posé lors de sa réélection. Mais pour faire sortir la politique italienne de cette crise de méfiance avec l’opinion publique, il faut deux choses : le retour de la croissance économique et des réformes.
Pour la croissance économique, Enrico Letta sera aidé par le déblocage de plusieurs dizaines de milliards d’euros de paiement de la part de l’administration publique vers les entreprises, des dettes extrabudgétaires non honorées jusque-là par l’état italien, et pour lesquelles la Commission Européenne vient d’accepter le paiement et la majoration de la dette italienne qui en résultera. L’injection de cet argent dans l’économie italienne pourrait favoriser la relance. Il est certain que si le pays reste en récession tel qu’il l’est aujourd’hui, les hommes politiques seront de plus en plus impopulaires. Pour l’autre raison de la crise de confiance, à savoir les scandales de corruption, et une classe politique inefficace, inepte, des réformes institutionnelles paraissent nécessaires, notamment avec la loi électorale qui ne donne pas de majorité claire et stable.
Enrico Letta va devoir réussir à recréer un lien entre la classe politique et les Italiens. C’est un peu comme si les hommes politiques devaient accepter de préparer et de signer un plan social à leur encontre. Il faudra un renouveau radical de la classe politique, donc on peut être soit optimiste et se dire qu’un retour de la croissance permettra à l’Italie de reprendre sa place à l’intérieur de l’Union européenne, soit pessimiste et se dire que les hommes politiques qui ont mis l’Italie dans cette situation de crise sont en train de faire un énième tour de manège. Après 20 ans de promesses de réformes institutionnelles, les partis politiques vont-ils y arriver ? Cela reste à voir. Aujourd’hui, c’est la survie du système traditionnel des partis qui est en jeu. Si aucune réforme n’était mise en œuvre, on peut imaginer un éclatement du parti démocrate, et même du système des partis italiens, avec en contrepartie une grosse affirmation électorale du mouvement 5 étoiles. On pourrait même voir la disparition du parti démocrate et la création en Italie d’un bipolarisme entre Beppe Grillo et Silvio Berlusconi, qui reste un leader charismatique pour une partie de la population.

Finalement, 60 jours après les élections, on peut dresser un premier bilan. Il y a deux énormes gagnants de ce tour électoral.
D’un côté, Silvio Berlusconi a obtenu absolument tout ce qu’il voulait alors que tout le monde le tenait pour mort. Non seulement il n’est pas mort, mais il a presque gagné les législatives, et il a eu son mot à dire sur l’élection du Président de la République et sur la formation du gouvernement. Il pourra obtenir ce qu’il voulait, à savoir la défense de ses intérêts judiciaires et un gouvernement qui probablement ne lui sera pas non plus hostile de ce point de vue.

L’autre grand gagnant, c’est Beppe Grillo. Sa stratégie était de pousser les autres partis à s’accorder pendant que ses députés développaient leur expérience. Il s’agit quand même de personnes qui n’avaient d’expérience ni du gouvernement, ni de droit administratif, et parfois même une bien faible connaissance de tout ce qui touche au droit constitutionnel jusqu’au « règles » de la politique elle-même. Beppe Grillo pourra continuer de jouer la caisse de résonnance de la contestation, en utilisant le discours : « Les hommes politiques sont tous pourris, accrochés aux fauteuils, ils se sont accordés entre eux pour survivre ».
Le grand perdant est le parti démocrate, qui risque de se briser. La victoire lui était promise, mais il en est pourtant arrivé à perdre les élections et risque aujourd’hui la scission. C’est cela le paradoxe : malgré un premier ministre démocrate, il apparaît que le parti éponyme soit le grand perdant de ces 60 derniers jours. Il y a besoin d’un radical renouveau en termes générationnel, de leadership et de stratégie politique.