ANALYSES

Qu’est venu chercher Ahmadinejad en Afrique ?

Interview
18 avril 2013
Le point de vue de Thierry Coville
Quel est l’historique des relations de l’Iran avec le continent africain ?

Ces relations se sont développées depuis la révolution islamique de 1979. Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, la vision tiers-mondiste de l’Iran après la révolution. Un des slogans à l’époque était : « Ni Est, Ni Ouest ». Cette vision a poussé l’Iran à se rapprocher des pays du tiers monde. Depuis les années 1990 en particulier, le pays a cherché à développer sa sphère d’influence en direction de l’Afrique et de l’Amérique latine.
Par ailleurs, aujourd’hui il y a aussi un certain pragmatisme iranien à cause des sanctions qui tentent d’isoler le pays économiquement. La diplomatie de l’Iran cherche à trouver des alliés, notamment dans les pays du Sud.
Pour résumer, le développement de relations importantes de l’Iran avec l’Afrique depuis quelques années est dû à deux éléments : une vision assez idéologique des relations internationales et en particulier des relations avec le tiers-monde, et la volonté de contourner les sanctions.

Qu’est venu chercher M. Ahmadinejad en Afrique? Le continent peut-il faire un contrepoids par rapport à toutes les sanctions qui touchent l’Iran ?

Je ne sais pas si on peut parler de contrepoids, mais on voit dans les statistiques que l’Iran exporte de plus en plus vers l’Amérique Latine et l’Afrique. Peut-être pas tellement au Niger, mais on voit que les exportations de l’Iran – sans qu’elles atteignent de gros montants – ont fortement progressé en Afrique du Sud, au Kenya, en Tanzanie. C’est important pour l’Iran d’avoir des nouveaux marchés, compte-tenu de leur dépendance vis-à-vis des exportations de pétrole. Il y a donc un motif économique.
Mais il y a aussi un motif politique clair, qui est de montrer que l’Iran n’est pas isolé. Le pays cherche donc à resserrer les liens diplomatiques avec un certain nombre de pays d’Afrique, d’autant plus que ces pays sont assez sensibles à la rhétorique iranienne qui consiste à dire que les pays occidentaux ne veulent pas que nous ayons accès à la technologie nucléaire. Il y a une certaine bienveillance par rapport au dossier du nucléaire iranien dans les pays du tiers-monde. Il est clair qu’une visite au Niger, par exemple, au vu des liens dans le domaine du nucléaire entre le Niger et la France, est aussi une façon pour l’Iran de se poser en pays maîtrisant la technologie nucléaire et étant éventuellement capable de développer des coopérations dans ce domaine avec des pays qui exportent de l’uranium.


A ce sujet, avec la visite du président iranien au Niger, la presse n’a cessé de rappeler que le pays est le 4ème producteur mondial d’uranium, et de faire des liens avec le programme nucléaire iranien. Au final, aucun accord n’a été signé, que pensez-vous de ces allégations?

Il faut resituer les relations avec le Niger dans le cadre des relations plus générales de l’Iran avec les pays du Sud. Ces pays sont sensibles au fait qu’un pays comme l’Iran essaie de développer des relations Sud-Sud avec eux. Ils attachent du prix à ce discours. C’est aussi dans leur intérêt de commercer avec l’Iran. De plus il faut se rappeler qu’Ahmadinejad avait eu un certain succès en organisant le sommet des Non-alignés durant l’été 2012 à Téhéran, et ce en dépit des tentatives d’isoler l’Iran. Il n’y a donc pas que le nucléaire.
Cependant, l’Iran a des gisements d’uranium, qu’ils utilisent sur leur programme nucléaire. Même si il n’y a pas eu d’accord, il y a beaucoup de pragmatisme chez les Iraniens, et le pays cherche à se positionner vis-à-vis des pays du Sud comme un pays maîtrisant la technologie nucléaire. C’est une manière pour l’Iran d’affirmer son poids diplomatique ; je serais ainsi assez surpris que les discussions avec le Niger n’aient pas abordé ce sujet, même si cela ne donne pas de résultats à court terme. Le dossier du nucléaire est une manière pour l’Iran d’avoir un certain poids sur la scène internationale, donc il est clair que ce levier sera utilisé dans des relations avec les pays qui produisent de l’uranium, comme le Niger.
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