ANALYSES

France/Russie : « Je t’aime, moi non plus ? »

Interview
1 mars 2013
Le point de vue de Pascal Boniface
La presse a commenté unanimement l’ambiance glaciale qui régnait lors de cette rencontre franco-russe. Etait-ce sur place une réalité ? Quelle est la nature des relations franco-russes ?
Il est certain que François Hollande est moins démonstratif que ne l’était son prédécesseur et qu’effectivement, la proximité personnelle affichée par Nicolas Sarkozy et Vladimir Poutine ne se retrouve pas dans ses propres relations avec le président russe. D’ailleurs, il ne faut pas oublier qu’initialement, avant le développement de cette relation amicale et chaleureuse, Nicolas Sarkozy avait affirmé qu’il ne serrerait jamais la main de Vladimir Poutine, passant ainsi d’un extrême à l’autre.
Si effectivement aucune amitié personnelle n’a été affichée entre Poutine et Hollande, on a pu constater de bonnes relations de travail. Quelques plaisanteries ont même été échangées, comme c’est souvent le cas avec le président français. Au final, les deux chefs d’Etat ne se connaissent pas beaucoup, se rencontrant pour la seconde fois seulement. Il existe effectivement des divergences importantes sur certaines questions politiques mais les deux présidents ont eu une conduite professionnelle qui n’était ni chaleureuse ni glaciale. Vladimir Poutine a d’ailleurs fait une plaisanterie à un journaliste qui parlait de « l’ambiance glaciale », l’invitant à venir plus près s’il voulait sentir la chaleur. Le journaliste bien sûr ne s’y est pas risqué. En résumé, s’il y avait effectivement de la réserve, le mot « glacial » me paraît exagéré : je dirais plutôt « courtois et professionnel ».

Alors que la priorité de ce déplacement était aussi donnée à l’économie, beaucoup ont interpellé François Hollande pour qu’il ne manque pas de promouvoir les droits de l’homme. Le président français a-t-il réussi selon vous à équilibrer son discours entre realpolitik et diplomatie morale ?
Ce qui est curieux, c’est que certains journalistes en poste à Moscou m’ont alerté sur le fait que leur rédaction en chef ne posait que des questions sur les droits de l’Homme mais occultaient un peu les autres dossiers. J’ai également rencontré des correspondants sur place à Moscou qui estimaient que leurs directions nationales donnaient une importance démesurée aux droits humains. Pour ma part, je pense que François Hollande a eu une très bonne formule au cours de la conférence de presse en disant que lorsqu’il y avait des problèmes de droits de l’Homme, il les évoquait pour qu’ils soient réglés et non pas brandis. Effectivement, il ne s’agit pas d’avoir des postures qui ne changent rien et le fait de faire des leçons en direct et en public aux Russes sur la question des droits humains ne fait pas avancer d’un iota les dossiers et a plutôt tendance au contraire à les crisper. Il faut également prendre en considération que, depuis des siècles, les Russes ont le sentiment que les Occidentaux les prennent de haut et leur disent ce qui doit être fait ou non et ils se révoltent contre cela.
François Hollande a donné une interview à une radio d’opposition. Il a eu une réunion, qui a duré plus d’une heure, et à laquelle j’ai assisté, avec des membres de la société civile, des opposants, l’association « Memorial », une représentante écologiste, une journaliste d’opposition, etc. : le dialogue a été très franc. Ainsi, François Hollande s’est occupé de ce problème, affirmant que les droits de l’Homme faisaient partie de la politique extérieure de la France, mais qu’en même temps, elle ne peut pas se résumer à cela. Opposer commerce et droits de l’Homme est quelque part très superficiel et un peu manichéen. Comme l’a dit le président français aux membres de la société civile, si les Russes achètent des biens à la France, ce n’est pas parce que la France se tait sur les droits de l’Homme -ce qu’elle ne fait pas précisément-, mais c’est parce que les produits sont intéressants technologiquement et correspondent à leurs besoins. Donc, une fois encore, je trouve que lorsque toute la presse a titré sur le fait que les droits de l’Homme avaient été oubliés, c’est faux : ils ont été évoqués en public et en privé, l’opposition a été reçue. Je ne vois pas quel dirigeant étranger pourrait sommer avec succès la Russie de modifier complètement sa politique. Il y a des soucis sur les droits humains, les représentants de la société civile que nous avons rencontrés disent que la situation s’est durcie mais, d’un autre côté, elle s’est durcie parce que cette société civile progresse et s’organise de mieux en mieux.

Si lors de la conférence de presse Hollande et Poutine ont tâché de mettre en avant leurs convergences plutôt que leurs divergences, leur différence de vue notamment sur le dossier syrien, n’est-elle pas problématique quant à la résolution de ce conflit ?
Il faut tout d’abord noter que, pour la première fois, Poutine a dit publiquement que la Russie soutenait l’action et la politique de la France au Mali : cela représente une reconnaissance publique extrêmement importante.
Concernant la Syrie, il existe effectivement un accord sur le maintien de l’intégrité territoriale du pays, de son non-éclatement. Vladimir Poutine et François Hollande en ont parlé pendant la conférence de presse et c’est un point sur lequel ils sont d’accord. Les deux présidents s’accordent aussi sur la nécessité d’une solution politique mais la divergence sur ce point-là est de taille : la France estime que cette solution politique doit se faire sans Bachar al-Assad alors que la Russie estime que le président syrien peut faire partie de ce plan. Ainsi, même si Vladimir Poutine a dit pendant la conférence de presse que François Hollande avait fait des propositions intéressantes et a montré en cela le début timide et très partiel d’une légère inflexion positive de la Russie, il est clair que sur ce dossier les positions restent éloignées. D’ailleurs, François Hollande a dit lui-même qu’il était très difficile que des marches parallèles se rencontrent.
Pour l’instant, il y a une divergence d’appréciation sur la question syrienne qui reste forte. Par contre, outre le Mali, il y a un très fort rapprochement sur le dossier iranien.
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