ANALYSES

Le conflit du Nord-Mali, symbole de l’inexistence d’une Europe de la défense ?

Interview
21 janvier 2013
Réponse de Fabio Liberti, directeur de recherche à l’IRIS
Tout comme lors du conflit libyen, l’Allemagne semble frileuse à soutenir la France dans ses opérations militaires : comment expliquer sa position ?

La politique de défense allemande a toujours été plus complexée par rapport à celle de la France et du Royaume-Uni ; cela tient à d’évidentes raisons historiques. Le souvenir du nazisme a durablement transformé les rapports de l’opinion publique allemande aux questions de défense. Plus globalement, il faut prendre acte, en Europe, du fait que la question de l’usage de la force est perçue différemment dans les pays membres. La seconde raison de la frilosité allemande s’explique par la tenue d’élections en septembre. L’opinion publique restant majoritairement pacifiste, il est peu probable qu’Angela Merkel impliquera ses forces armées dans un théâtre lointain qui semble sans importance pour l’Allemand moyen. Ce contexte politique dissuade le gouvernement d’outre-Rhin d’être plus à l’écoute de la demande française d’assistance européenne. On a bien d’un côté un soutien politique franc mais de l’autre le soutien opérationnel est faible. Celui-ci, à minima (deux avions de transport Transall), est de surcroît à destination des forces africaines, et non de celles françaises. Le troisième élément à prendre en compte est la nature de la relation franco-allemande aujourd’hui. Celle-ci est en berne depuis l’arrivée au pouvoir de François Hollande. La relation est marquée par une série d’incompréhensions.

Alors que les enjeux du terrorisme au Sahel concernent l’ensemble des pays européens, pourquoi la France a-t-elle du mal à mobiliser ses partenaires européens ?

C’est un problème de culture stratégique. Pour la France, défendre ses intérêts par l’utilisation de la force armée est quelque chose de tout à fait légitime ; pour d’autres pays la situation est différente. Le cas italien en est un bon exemple. L’article 11 de la Constitution italienne stipule que le pays répudie la guerre comme instrument de résolution des conflits internationaux. Après l’époque fasciste, tout au long de la guerre froide, le pays a été parcouru par des sentiments anti-militaristes. Même les pays qui, d’un point de vue formel, soutiennent le plus l’européanisation des politiques de défense (l’Allemagne justement, mais aussi la Pologne de D. Tusk) montrent, à l’épreuve des faits, que leur culture stratégique diffère de celle française ou britannique. La question de l’usage des « battle group » multinationaux – ou groupement tactique 1500 – nous offre un bon exemple. Il s’agit d’une force de réaction rapide européenne conçue pour une intervention dans un théâtre de type Mali. Leur création avait été saluée comme une avancée majeure de l’Europe de la défense. Ces battle group sont disponibles en permanence, selon un système de rotation entre Etats membres. Les forces qui sont en alerte aujourd’hui sont celles du BG dit de « Weimar » car composées de soldats allemands, français et polonais. Le moment venu, si l’Allemagne et la Pologne sont réticents sur ce type d’actions, la France n’a d’autre choix que d’aller seule au conflit, le temps étant précieux dans ces cas de figure et ne laissant guère la possibilité de débats parlementaires ou de négociations entre Etats. Cependant l’Europe peut apporter une contribution substantielle au théâtre malien en participant à la recomposition des structures étatiques du pays.

Est-ce une preuve supplémentaire que l’Europe de la défense est un vœu pieux ?

Cela dépend de ce que l’on entend par l’Europe de la défense. Si l’on entend la création d’une armée européenne – qui puisse être l’égale de l’armée américaine – comme on a pu le rêver en France, alors effectivement nous n’y sommes pas du tout. L’Europe de la défense aujourd’hui, c’est la Politique de Sécurité de Défense Commune (PSDC), née sous l’impulsion de l’accord franco-britannique de Saint Malo en 1998, et dont les réalisations concrètes restent des petites missions de maintien de la paix ou de contrôles des frontières, qui font office de politique européenne intergouvernementale sur la question. En aucun cas, il est question de l’utilisation de forces armées dans un conflit majeur. Cependant, résoudre une crise ce n’est pas seulement bombarder des bases terroristes, l’Afghanistan en est un bon exemple. Résoudre une crise, comme celle au Mali, nécessite avant tout de reconstruire l’Etat malien, et en cela les pays membres de l’Union européenne disposent d’atouts que nul autre ne possède. L’UE peut être un acteur majeur de la résolution des conflits.
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