ANALYSES

Élection présidentielle en Corée du Sud : et maintenant ?

Interview
20 décembre 2012
Le point de vue de Barthélémy Courmont
Comment s’est déroulée l’élection présidentielle sud-coréenne ? Quelles sont les leçons de ce scrutin ?

Près de trois décennies après la démocratisation de la Corée du Sud, cette élection fut très particulière, en termes de symboles surtout. La nouvelle présidente, Park Geun-hye (parti conservateur, Saenuri), élue avec près de 52% des voix dans ce scrutin à un seul tour, présente l’intéressante particularité d’être la première femme à la tête d’un pays d’Asie du Nord-est, mais elle aussi la fille de l’ancien dictateur Park Chung-hye, qui dirigea le pays d’une main de fer de 1961 à 1979. Après l’assassinat de sa mère en 1974, Geun-hye fut même la première dame du pays, accompagnant son père dans ses déplacements et lors des cérémonies officielles. Ce passé explique en partie son succès. Pour de nombreux Coréens, en particulier les plus de 50 ans, le régime de Park fut avant tout marqué par le ‘miracle économique coréen’, et sa fille symbolise cette époque, même si elle n’a cessé pendant toute la campagne de s’inscrire dans un programme démocratique, et de mettre en avant ses cinq mandats consécutifs de parlementaire de Daegu, mais aussi le fait qu’elle est restée célibataire, et a consacré toute sa vie à la politique. Face à elle, son principal rival était Moon Jae-in (parti démocratique, centre-gauche), et cette rivalité ne fut pas seulement celle d’un scrutin, mais d’une certaine idée de la Corée. Dans les années de la dictature de Park, Moon était un militant acharné pour la démocratie, et son électorat reposait en grande partie sur les jeunes.
La clé du scrutin était, comme il y a cinq ans, la participation. Lors de l’élection de Lee Myung-bak en décembre 2007, la participation fut très faible, et les jeunes électeurs s’étaient peu déplacés. Cette fois, la participation est en hausse, mais trop faible pour permettre à Moon de faire la différence. Parmi les leçons politiques et sociologiques, il convient de s’interroger sur l’électorat coréen, dans un pays vieillissant où les divergences électorales sont très fortes selon les âges. Si le parti démocratique veut revenir au pouvoir, il lui faudra soit séduire les électeurs plus âgés, soit désigner un candidat très charismatique. En attendant, Park Geun-hye sera présidente pendant cinq ans (le mandat n’est pas renouvelable), et si son élection n’a pas soulevé un enthousiasme particulier, elle ancre solidement au pouvoir le Saenuri.

Sur le plan intérieur, quels défis attendent la nouvelle présidente ?
La Corée du Sud connaît un ralentissement de son économie, avec une croissance de son PIB légèrement supérieure à 2%. Son succès s’explique en partie par l’image de son père, et par la volonté du Saenuri de relancer l’économie en associant les pouvoirs publics et les chaebols, ou conglomérats. Son programme social est en revanche moins clair, et elle fut d’ailleurs en difficulté sur ce point lors de la campagne, face à Moon qui avait fait de la réduction des inégalités et le démantèlement partiel des chaebols un objectif économique. Gageons que sa présidence ne marquera pas de rupture avec celle de son prédécesseur sur ce point. Il lui faudra cependant surveiller de près les revendications sociales en période de ralentissement de l’économie et de baisse des exportations, la principale force économique du pays. Les Coréens ne bénéficient pas encore de manière suffisamment large des effets de la croissance de ce pays au cours des dernières décennies, les salaires restent très bas, et les écarts de richesse sont très importants. Ses défis sont donc à la fois de relancer l’économie, et de s’assurer que les inégalités ne créent pas des tensions fragilisant le pouvoir politique.

Quelles devraient être les orientations de Park Geun-hye sur la scène internationale ? En particulier avec le Japon et la Corée du Nord ?
Pendant la campagne, elle s’est montrée plus souple que son prédécesseur sur la Corée du Nord, se montrant même favorable à la reprise du dialogue. Il s’agit d’ailleurs d’un point sur lequel elle n’a pas montré de divergence profonde avec Moon Jae-in, si ce n’est que ce dernier semblait décidé à réactiver la sunshine policy que Lee Myung-bak a enterrée. L’opportunité d’un nouveau dialogue est là, avec un pouvoir nord-coréen qui, derrière ses provocations, semble désormais ouvert à quelques réformes, et plus disposé à discuter avec son voisin.
Malgré d’importants échanges économiques et commerciaux, les relations avec le Japon restent difficiles, et les provocations de Lee Myung-bak, se rendant à Dokdo – le différend frontalier avec le Japon – a récemment attisé les tensions. Madame Park est restée en retrait, preuve de sa volonté de ne pas entamer son mandat sur de mauvaises bases avec Tokyo. Mais comme les Japonais viennent de rappeler les conservateurs au pouvoir, avec un discours nationaliste très décomplexé, les deux partis conservateurs pourraient trouver de nombreux points de discorde. Paradoxalement, compte-tenu des divergences idéologiques, les relations avec la Chine semblent plus apaisées, à l’heure où la Corée du Sud a besoin du géant économique chinois, et de sa capacité en termes d’importations.

* Il vient de publier La Chine en défi (éditions Erick Bonnier) co-écrit avec Emmanuel Lincot .

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