ANALYSES

Mobilisation populaire à l’échelle européenne : vers la naissance d’une force sociale conjointe ?

Interview
19 novembre 2012
Le point de vue de Eddy Fougier
Peut-on considérer les manifestations qui ont eu lieu le 14 novembre dans toute l’Europe comme un succès ? Est-ce que ce genre de manifestation à l’échelle communautaire est nouveau ?

Je parlerais d’un succès relatif. Dans certains pays effectivement, ce fut un succès, tels au Portugal ou encore en Espagne qui ont connu une grève générale avec des centaines de milliers de personnes dans les rues. Des manifestations ont ainsi eu lieu dans une vingtaine d’Etats européens qui ont rencontré un succès mitigé, y compris en Grèce où il n’y a eu que quelques milliers de personnes. En France, il y a eu des manifestations à Marseille et à Paris où à peu près quinze mille personnes se sont rassemblées ; ce n’est pas non plus un énorme succès. Dans des Etats comme l’Italie, l’Allemagne ou la Belgique, je parlerais plus d’un succès d’estime.
Le phénomène des euro-manifestations n’est pas tout à fait nouveau puisque depuis quelques années déjà plusieurs initiatives avaient été organisées par la Confédération européenne des syndicats (CES) notamment. Depuis la constitution de l’Union européenne en 1993, des euro-manifestations étaient visibles mais on peut parler d’une accélération de ces initiatives contre les politiques d’austérité depuis 2008.
Peut-on parler de la naissance d’une force européenne sociale conjointe comme le disent les syndicats organisateurs ? Peut-elle avoir une réelle influence sur la vie politique des Etats de l’Union européenne ?

Je ne pense pas que l’on ait assisté à la naissance d’une coordination européenne. Certes, il existe déjà nombre d’initiatives : il y avait à une certaine époque le Forum social européen du côté altermondialiste, auquel participait la CES, qui a essayé de mettre en place cette Europe « sociale », avec cette idée de créer une coordination européenne. Il y a également eu, dans les années 90, des marches européennes de chômeurs qui ont convergé vers Bruxelles. Egalement, depuis la crise, on a assisté à des euro-grèves. Mais cela ne représente en rien un mouvement structuré à l’échelle européenne.
Ces mouvements n’arrivent pas à mon sens à influencer les gouvernements. Pour illustration d’ailleurs, cette manifestation européenne du 14 novembre s’est déroulée le lendemain de la conférence de presse où François Hollande, plutôt que d’impulser l’orientation politique souhaitée par les manifestants, a annoncé la mise en place d’une politique d’austérité exactement comme en Espagne, en Italie ou au Portugal.
Quelle place a joué le mouvement des Indignés dans la mobilisation du 14 novembre ? S’est-il dissolu dans les démonstrations syndicales ou possède-t-il encore une identité propre dans l’Union européenne ?

Il y avait deux marches en Espagne : la marche des syndicats et la marche des Indignés. Le mouvement des Indignés a donc joué un rôle dans ces mobilisations mais a priori pas aussi important que ce qu’ils auraient espéré. Le mouvement des Indignés, qui est parti de l’Espagne, puis de la Grèce en 2011, peine en effet à se structurer, justement parce qu’il refuse de le faire. On a du mal aujourd’hui à faire la part des choses entre les mobilisations contre les politiques d’austérité et le mouvement des Indignés en tant que tel. On ne peut donc parler d’une identité des « Indignés » en l’absence d’organisation, de structuration, de porte-parole ou encore de programme. On remarque d’ailleurs que l’Espagne a connu la même année la naissance du mouvement des Indignés (mai 2011) et, à l’extrême, le retour de la droite au pouvoir (novembre 2011) avec une défaite cinglante de la gauche. L’influence du mouvement des Indignés semble donc plus limitée que ce à quoi on aurait pu s’attendre.
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