ANALYSES

L’Europe à l’heure de la division ?

Interview
11 octobre 2012
Réponse de Fabio Liberti, directeur de recherche à l’IRIS
Hier à Paris, Hollande et Rajoy ont plaidé en faveur de la croissance. Mardi à Athènes, Merkel a soutenu les plans d’austérité de la Grèce. Les pays de la zone euro marchent-ils encore dans la même direction ?

Je dirais qu’il y a deux fronts aujourd’hui en Europe : d’un côté le clan du triple A (Allemagne, Pays-Bas, Finlande) et de l’autre, ce qu’on appelait jadis les pays du Club Med (Italie, Espagne, Grèce, etc.), auxquels semble se joindre la France. L’un des objets de la dispute : les décisions du Conseil européen de juin 2012 qui appelaient entre autres à la naissance rapide d’une union bancaire avec une surveillance unique de la part de la Banque centrale européenne. Cela impliquait la prise en charge par l’Europe de certaines dettes bancaires, notamment de l’Espagne. Mais suite au sommet de juin, l’Allemagne, les Pays-Bas et la Finlande ont donné l’impression de vouloir détricoter ces décisions. D’où ce sommet franco-espagnol et cette affirmation de Rajoy et Hollande sur la nécessité d’appliquer rapidement les mesures en faveur de la croissance et de l’union bancaire. Il y a donc actuellement une dialectique entre deux blocs à l’intérieur de l’Union européenne.

Que révèle la visite de Merkel en Grèce ?

La visite d’Angela Merkel à Athènes est très significative du point de vue politique, la chef du gouvernement allemand venant apporter son soutien à Monsieur Samaras. Ce dernier est noyé dans l’impopularité : il est en train d’imposer des réformes extrêmement lourdes à la société grecque qui réagit très mal. Des scandales d’évasion fiscale éclatent tous les jours ; Aube dorée, un parti nazi, flirte avec les 20% de soutien et SYRIZA, la coalition de la gauche radicale, redevient le premier parti. La coalition gouvernementale qui soutient Samaras est donc extrêmement fragilisée et il y a un risque que la Grèce explose. Si cela se produit, nous nous retrouverons, nous Européens, avec des créances inexigibles, c’est-à-dire que l’argent que l’’on aura prêté à la Grèce ne sera jamais remboursé. Cela étant, quelle que soit la situation, je ne suis pas tout à fait certain que l’on récupère un jour cet argent, mais avoir un interlocuteur « raisonnable » à Athènes reste une priorité.
Ce qui est paradoxal, c’est que l’Allemagne est le pays qui a le plus prêté à la Grèce pour la sauver. La chancelière aurait pu être accueillie comme une « sauveuse ». A contrario, on a eu une manifestation avec des gens déguisés en nazis, les citoyens grecs voyant en l’Allemagne le symbole de l’austérité, et certains ne semblant pas voir les dysfonctionnements grecs qui ont mis le pays dans son état actuel. Cela est symbolique de l’état de l’intégration européenne. Il y a de plus en plus une méfiance anti-allemande dans les pays du Sud, et anti-Sud dans des pays comme l’Allemagne. Cette incommunicabilité préjuge très mal de l’avenir européen en sachant qu’Angela Merkel doit faire face à des élections en 2013 et que son opinion publique est absolument contre toute nouvelle aide à la Grèce. De cette visite à Athènes, on s’attendait peut être à un geste en faveur de la Grèce ; Angela Merkel n’a en fait rien promis, apportant seulement son soutien au leader grec.

Que pensez-vous des dernières déclarations du FMI sur la zone euro ?

Le FMI, dans son rapport, affirme que la croissance sera moins soutenue, ce à quoi tous les économistes s’accordent. Il affirme également que si l’on ne donne pas un délai supplémentaire à la Grèce, ce pays ne s’en sortira pas. Il évoque, enfin, entre juin 2011 et juin 2012, une fuite des capitaux en Italie et en Espagne. Cette dernière analyse est à la fois vraie et fausse, dans la mesure où elle date de juin 2012. Mario Draghi, le gouverneur de la Banque centrale européenne, avait d’ailleurs dit, il y a quelques semaines, qu’il assistait à un afflux de capitaux en direction de l’Italie. Les dépôts bancaires en Italie sont en train d’augmenter, ce qui est plutôt une très bonne nouvelle. L’analyse du FMI, au moins en ce qui concerne la fuite des capitaux, est donc quelque peu datée. Pour le reste, elle n’ajoute malheureusement rien à ce que l’on sait déjà : la situation économique de la zone euro est très difficile. Il y a des sommets européens, des conseils européens, aux mois d’octobre et de décembre qui sont appelés à prendre des décisions pour faire progresser l’intégration européenne et, au passage, rassurer les marchés. Quelles seront-elles ? Affaire à suivre…
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