ANALYSES

Quelle est la portée des annonces de M. Draghi  sur la dette publique européenne ?

Interview
7 septembre 2012
Historique ! Le président de la Banque centrale européenne (BCE), a annoncé qu’il était prêt à racheter la dette publique de façon illimitée si nécessaire. Si en août 2011 la BCE était déjà intervenue sur le marché secondaire pour freiner une attaque spéculative contre l’Italie et l’Espagne, cette annonce de M. Draghi est d’une portée bien différente. Le terme « illimité » est crucial. Jusque-là les plans de sauvetage mis en place par les Etats membres de l’UE, et les interventions de la BCE, étaient chiffrés et limités, ce qui permettait aux spéculateurs de tester les limites. Lorsqu’on a doté le Fonds Européen de Stabilité Financière de 750 milliards, les opérateurs de marché ont vite compris qu’une chute de l’Espagne aurait épuisé les fonds, accélérant la contagion à l’Italie et ainsi de suite. Cette fois, Mario Draghi dit très clairement que la zone euro n’explosera pas : la monnaie est irréversible et en quelques jours les taux d’intérêt espagnol et italien ont baissé de 200 points base, ce qui prouve que la spéculation était bien présente. En perspective, on parle potentiellement de dizaines de milliards épargnés par ces Etats, autant d’argent qui pourra être mis au profit de la croissance ou des services sociaux plutôt qu’au paiement de la dette.

Pour arriver à ce plan de sauvetage, la BCE a dû passer outre les blocages de la Bundesbank. Face à l’opposition de la banque centrale allemande, Mario Draghi a tout simplement tissé une toile patiente, convaincu tous les autres gouverneurs jusqu’à Mme Merkel. Surtout, il a offert une lecture dynamique du statut de la BCE. En invoquant les disparités des taux d’intérêt à l’intérieur de la zone euro (les entreprises espagnoles et italiennes, dans la foulée de leur gouvernement, se refinancent aussi à des taux insoutenables, ce qui les rend d’autant moins compétitives face aux concurrentes allemands), M. Draghi est passé outre les phobies allemandes. Dans la meilleure des hypothèses, nous pourrions même espérer que la crise de la dette commence à se résorber, et que ce nouveau mécanisme ne sera jamais utilisé. Dans la pire, si un Etat comme l’Espagne ou l’Italie voyait sa situation se dégrader encore plus dans les mois à venir, celui-ci serait formellement obligé de demander de l’aide. Cette aide serait alors d’abord apportée par les Etats membres de l’UE à travers le mécanisme européen de stabilité (MES, si la Cour Constitutionnelle Allemande valide sa conformité à la Loi fondamentale allemande le 12 septembre). Pour que le MES se déclenche, il faudra donc une négociation entre l’Etat en difficulté et les autres Etats, comme l’Allemagne, qui imposeront vraisemblablement des conditions  : cela impliquerait donc une certaine cession de souveraineté économique et budgétaire à laquelle l’Espagne et l’Italie rechignent, au vu de l’exemple grec. Ce n’est qu’après cette demande d’aide que la BCE interviendrait, et ce potentiellement de façon illimitée.

D’un point de vue politique, Draghi met en quelque sorte les Etats face à leurs responsabilités. Aujourd’hui, il est présenté comme le sauveur de l’euro alors qu’il n’a aucune légitimité démocratique et que la politique budgétaire reste du ressort des élus. Il incite ainsi à la poursuite des efforts de consolidation des finances publiques, pour calmer les craintes allemandes, mais aussi pour éviter de plomber le bilan de la BCE avec de la dette d’Etats qui pourraient potentiellement faire faillite. Surtout, pour Draghi, le bout du tunnel tient dans les Eurobonds et dans la poursuite de l’intégration européenne. Pour lui, il faudra de toute manière, et pour tous les Etats, des cessions de souveraineté, pour permettre la stabilité à long terme de l’Euro.

Draghi, de par ces décisions, sauve donc effectivement l’euro pour l’heure, mais après une phase d’accalmie, il faudra que les leaders politiques reprennent ce qui est de leur responsabilité, soit l’effacement de l’erreur de base qui a conduit à la crise, une irresponsabilité budgétaire de la part de certains gouvernements, mais aussi un manque de solidarité entre les pays de l’Union.

Le défi reste donc politique. Les élections aux Pays Bas dans les prochains jours ont valeur de test. Elle rappelleront probablement à quel point les citoyens européens se désespèrent de cette crise. Malgré le plan Draghi, l’action politique reste urgente et essentielle.