ANALYSES

Avec l’effacement d’une partie de sa dette par ses créanciers privés, la Grèce est-elle assurée d’éviter la faillite ?

Interview
9 mars 2012
Réponse de Fabio Liberti, directeur de recherche à l’IRIS
Les détenteurs privés de la dette grecque ont été priés d’accepter un échange de leurs anciens titres pour des nouveaux, dépréciés à une valeur faciale de 53%, et dont la durée est rallongée et les taux d’intérêts amoindris. Chaque détenteur privé a donc subi une perte nette de 73% à 74%. Un palier avait été établi pour que l’opération réussisse ; au moins 75% des créanciers privés devaient accepter cette mesure. Ce ratio a donc été outrepassé puisque près de 84% s’y sont conformés. La Grèce a ainsi « économisé » une centaine de milliards d’euros de sa dette, et l’abattement devrait rendre les charges de la dette un peu plus supportables.
Pour autant, la Grèce n’est pas assurée d’éviter la faillite. L’effacement d’une partie de sa dette permet de l’éviter dans l’immédiat, car sans cela, le plan d’aide européen ne se serait pas déclenché et la Grèce serait tombée en faillite au 20 mars, date à laquelle 14 milliards d’euros de sa dette arrivaient à échéance. Mais quand on regarde à plus long terme, les perspectives les plus optimistes indiquent qu’à l’horizon 2020, la Grèce devrait atteindre une dette représentant 120% de son PIB soit un ratio estimé comme soutenable car équivalent à celui de l’Italie (qui est, après celui de la Grèce, le plus élevé des États de l’UE). Comme l’Italie n’est pas en faillite, on a estimé que ce ratio pourrait être soutenable également par la Grèce, tout en sachant que la structure de l’économie est totalement différente dans les deux pays. Mais ce type de prévision optimiste, et ce taux pourrait bien atteindre 130%, voire plus, si la croissance économique ne fait pas son retour dans le pays.
La Grèce n’est donc pas encore sortie d’affaire mais elle a assurément gagné du temps. Il y a fort à parier que la crise de la dette va entrer dans une phase de « congélation », notamment grâce à l’intervention de la Banque centrale européenne (BCE) qui a prêté de l’argent aux banques, qui elles-mêmes ont prêté aux Etats membres en difficultés. Ce mécanisme a permis d’éviter la contagion aux autres États périphériques. Une distinction a en effet déjà été faite par les marchés depuis le mois de janvier entre la Grèce d’un côté et les autres États de l’autre, abolissant de fait le caractère systémique de la crise.
D’autre part, ce nouveau plan d’aide à la Grèce ainsi que la signature d’un nouveau Traité sur la stabilité, la coopération et la gouvernance (TSCG) à l’échelle européenne (signature voulue par Berlin et qui rend simplement constitutionnelle la nouvelle législation européenne dite du « six pack ») devraient à l’avenir garantir aux yeux des marchés financiers une certaine sagesse de la part des États membres.
Cependant les prêts de la BCE sont d’une durée de trois ans, et il existe de ce fait un risque de voir la crise resurgir à cette échéance. En plus, avec la réduction de l’intensité de la crise, des Etats pourraient se sentir hors de danger et suspendre les réformes. L’avenir du TSCG est incertain aussi, du fait de la volonté du candidat socialiste à la présidence française François Hollande, de le renégocier.
S’ajoutent à cela la récession dans plusieurs pays européens et ses conséquences électorales en termes de montée des partis populistes. La Grèce et l’UE rentrent donc aujourd’hui dans une phase d’accalmie, mais le chemin vers sa reconstruction reste parsemé d’embuches. Une véritable refonte de la solidarité européenne est nécessaire. On a aujourd’hui plus que jamais besoin de l’Europe, alors même que les citoyens s’en détournent.
Ce n’est que de la solution à cette équation que pourra venir le salut de l’Union européenne.
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