ANALYSES

La Turquie a-t-elle les moyens politiques et économiques de sanctionner la France ?

Interview
24 janvier 2012
Par Alican Tayla, chercheur à l’IRIS
Avant toute chose, il est important de souligner que la Turquie et la France sont deux pays en situation d’interdépendance, ce qui se traduit par des engagements communs à plusieurs niveaux. Au niveau économique, bien sûr, avec de grands investissements français sur le territoire turc, mais aussi au niveau stratégique par le biais de leur participation commune à l’OTAN.
La médiatisation qui entoure le vote de la loi pénalisant le génocide arménien, et les réactions turques qui y sont attachées, sont globalement marquées par l’exagération. Une rupture profonde et durable des relations diplomatiques, économiques et stratégiques entre les deux pays reste, à l’heure actuelle, très peu probable. Pour confirmer cette idée, rappelons qu’en 1999, alors que le gouvernement italien refusait d’extrader Abdullah Öcalan (fondateur du PKK) vers la Turquie, les réactions avaient été encore plus importantes avec un boycott économique des produits italiens. La situation était pourtant redevenue à la normale en quelques mois.
Si la presse turque s’est emparée de la question avec exagération, le gouvernement reste plus prudent au niveau des sanctions possibles. La déclaration du premier ministre faite le 23 janvier ne mentionne ainsi, à aucun moment, des sanctions concrètes contre la France. A l’heure actuelle, ces mesures éventuelles ne porteraient que sur la suspension de certains accords stratégiques secondaires. Une manière symbolique de marquer son désaccord sans application réelle majeure.
En réalité, cette affaire risque de mener à un degré d’échange diplomatique minimal entre les deux pays, mais cette réaction reste encore une fois symbolique.
Au niveau européen, les relations entre la Turquie et les Etats membres semblent appelées à se tendre encore un peu plus, d’autant que l’opinion publique turque considère Nicolas Sarkozy comme un symbole de l’opposition à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne. Mais cette tension entre les deux pays existe depuis 2005, et l’épisode actuel ne pourra en aucun cas être avancé comme explication principale à un nouveau refus, s’il devait avoir lieu.
En dernier lieu, l’effet diplomatique de cette loi doit être placé dans un contexte d’isolement croissant de la Turquie sur le plan diplomatique. Un grand nombre de pays ont d’ores et déjà reconnus officiellement le génocide arménien et le débat est loin d’être terminé puisque le 24 avril prochain, date de la commémoration du massacre de 1915, la question risque fort de revenir sur le devant de la scène aux Etats-Unis. En pleine période électorale, c’est un sujet que les candidats auront à cœur d’aborder, notamment du côté républicain. Ces derniers ne manqueront pas de faire remarquer l’importance de la Turquie dans les plans d’Obama pour le Moyen-Orient. La France n’est donc pas le seul pays au monde à adopter une posture offensive face la Turquie.
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