ANALYSES

La crise de la dette ne serait-elle pas guidée par une guerre des monnaies entre l’euro et le dollar ?

Interview
9 décembre 2011
Le point de vue de Sylvie Matelly
Je ne pense que cela soit le cas. La crise de la dette souveraine est d’abord une crise financière, liée à une perte de confiance des investisseurs quant à la capacité des pays européens mais aussi des Etats-Unis à rembourser leur dette au vu de son importance. Ce postulat me semble donc un peu rapide, mais il est par contre intéressant de se questionner sur le lien entre les monnaies et les dettes souveraines, car ce facteur explique aussi l’état de confiance ou les inquiétudes du secteur financier.

Comment la monnaie intervient-elle dans la valorisation de la dette ? Si la dette est libellée en euros et est détenue par des résidents européens, alors l’évolution du dollar et son affaiblissement n’ont aucun impact. En revanche, si la dette des États européens était libellée en dollars, la baisse du taux de change du dollar serait plutôt une bonne nouvelle. Par contre, si elle était détenue par un certain nombre de banques américaines ou par des résidents étrangers, l’effet « perte de confiance » serait amplifié. Ceux qui détiennent de la dette grecque se trouveraient en position de faiblesse. Dans le cas européen, il s’avère en fait que la dette de chaque Etat est détenue en grande partie par des résidents étrangers (c’est donc une faiblesse) mais plutôt européens et donc en euro. C’est aussi cela qui affaiblit les banques européennes sans pour autant que l’euro n’en soit déprécié.

Les États-Unis jouissent pour leur part d’un privilège qui leur est exclusif, à savoir le fait que la dette américaine soit libellée en dollars qui est aussi la monnaie internationale et des échanges. On s’aperçoit ainsi que les grandes banques américaines, tout en détenant une partie de la dette souveraine américaine, financent aussi des institutions et organisations étrangères. Elles ont donc des intérêts différents à la hausse ou à la baisse du dollar mais y trouvent toujours un avantage ! C’est un atout essentiel pour les Etats-Unis.

Les politiques monétaires sont aussi importantes dans l’appréciation que font les investisseurs de telle ou telle dette et ce, malgré l’indépendance des banques centrales. Or, alors que la politique de la réserve fédérale américaine est à la fois souveraine et étroitement coordonnée aux enjeux de l’économie américaine, le cas de la politique monétaire européenne est plus complexe à comprendre donc à anticiper. La BCE est une institution européenne qui mène une politique monétaire européenne donc dans l’intérêt d’une union d’Etats quand les autres politiques sont nationales.

Un autre élément important quant au lien des monnaies et de la dette est celui d’une certaine concurrence (ou d’un risque tel) qui apparaît et pourrait s’amplifier à l’avenir sous la forme d’un effet d’éviction entre les dettes des Etats : les dettes souveraines sont tellement élevées (elles présentent des risques de dérapages et d’accumulation avec la croissance qui reste très faible) qu’il n’y a pas assez de financements pour tous les pays. Cela a alors un double impact : une augmentation des taux et une raréfaction des capitaux disponibles (les deux étant interconnectés). Dans ce contexte, la valeur de la monnaie présente ou anticipée et la confiance en cette monnaie seront déterminantes. L’euro et le dollar, au même titre que les dettes européennes et américaines sont concurrentes pour le meilleur et pour le pire. De là à parler de guerre des monnaies et alors des dettes…
Sur la même thématique
Une diplomatie française déboussolée ?