ANALYSES

Ebola : quelques leçons d’une crise sanitaire dramatique

Tribune
26 août 2014
Une région pauvre, débordée par l’épidémie

Le virus Ebola n’avait jamais sévi en Afrique de l’Ouest. Préalablement, ses apparitions s’étaient cantonnées à quelques villages d’Afrique centrale sans jamais acquérir la magnitude de la crise actuelle. Le bilan établi par l’OMS au 20 août 2014 est de 2615 cas confirmés et 1427 décès. A partir du premier cas, déclaré fin mars en Guinée à Guéckédou dans le sud-ouest du pays, le virus s’est rapidement diffusé au cœur d’un triangle comprenant les zones frontalières de la Sierra Leone et du Liberia puis a atteint chacune des capitales des pays bordant le fleuve Mano : Conakry (Guinée), Freetown (Sierra Leone) et Monrovia (Liberia). La gravité de la crise actuelle tient au fait que le virus ait touché les capitales et qu’il se soit grandement nourri de la porosité des frontières entre les trois pays et de l’intensité des déplacements de populations au cœur de ce triangle : les familles vivent de part et d’autres des frontières, les personnes les traversent pour aller travailler, etc. En plus de ces dynamiques d’échanges et de circulation de population, ces trois pays ont en commun de figurer parmi les plus pauvres de la planète. Tandis que la Sierra Leone et le Liberia ont été minés par une décennie de guerre civile imbriquée et d’ampleur régionale (on a parlé d’un véritable « système de conflit » ou de « guerre de type fleuve Mano »), la Guinée a, elle, connu un long isolement international et un délitement progressif de ses structures de santé publique qui se sont effondrées en même temps que l’ensemble de l’économie.
Or la lutte contre l’épidémie requiert une réponse logistique et politique d’envergure complexe et coordonnée. En premier lieu, des mesures exceptionnelles pour le soin des malades, doivent impérativement être mises en place afin d’éviter la contamination notamment des soignants (port d’une combinaison complète par ces derniers). En second lieu, le traitement des malades (notamment par la réhydratation doit être mis en place le plus tôt possible pour augmenter leurs chances de survie. Il est nécessaire d’isoler les malades et de rechercher l’ensemble des personnes avec lesquelles ils ont pu être en contact pendant la période d’incubation qui est de 2 à 21 jours, ce qui complique encore plus la tâche des services de santé. Il est également essentiel d’organiser les enterrements avec des précautions spécifiques car les corps demeurent hautement contagieux, le virus étant notamment présent dans les sécrétions dont le défunt est souillé. Enfin, la réponse politique doit être coordonnée aux niveaux local, national et régional. Les trois États ont certes déclaré un état d’urgence nationale et un ensemble de mesures drastiques pour tenter de contenir l’épidémie telles que la fermeture des frontières, la fermeture des écoles (au Liberia), la mobilisation de l’armée. Mais ces pays ne sont guère en mesure de pourvoir à l’ensemble des défis logistiques, politiques et financiers d’une telle épidémie.

Médecins Sans Frontières : acteur indispensable, à bout de souffle

Seule une ONG comme Médecins Sans Frontières (MSF) a pour le moment été en mesure d’y répondre mais l’organisation est à bout de souffle tant les besoins matériels, financiers et humains nécessaires sont immenses face au virus. Depuis le mois de mars MSF déploie sa force de frappe dans les trois pays : ouverture de centres de traitement, nettoyage et désinfection, formation du personnel et des volontaires, recherche des cas suspects, organisation d’enterrements sécurisés, communication et information. Elle a déployé près de 700 personnes dont 70 expatriés et plus de 600 personnels locaux dont plus de 50% de personnels non médicaux. Mais l’organisation a tiré la sonnette d’alarme et avoue ne plus parvenir à faire face à la crise faute de personnel, notamment dans la capitale libérienne où la situation est jugée « catastrophique » : les soignants ont partout fui les centres de soins, les hôpitaux sont fermés et des corps sont abandonnés sur les trottoirs de la ville. MSF appelle la communauté internationale à réagir le plus rapidement et le plus fermement possible avec des moyens plus substantiels en cohérence avec la déclaration par l’OMS le 12 août de l’épidémie comme une « urgence de santé publique à portée mondiale ». L’OMS a publié un plan stratégique couvrant les mesures à mettre en œuvre de juillet à décembre 2014 mais appelle les États à contribuer financièrement à hauteur de 71 millions de dollars pour permettre la mise en œuvre de la stratégie coordonnée de ce dernier dans les trois pays. La Banque mondiale a de son côté promis une aide exceptionnelle aux trois pays les plus touchés. Tous les acteurs s’accordent à prédire que la crise ne pourra être jugulée avant six mois tant les défis sont complexes et imbriqués. Au-delà des besoins humains, matériels, économiques et politiques, comment restaurer la confiance des populations envers les soignants qu’ils soient humanitaires ou nationaux ? En plus de mobiliser toutes les ressources humaines et financières, le virus suscite une peur panique parmi les populations. Les images véhiculées par les médias ont montré de façon dramatique des hommes en tenue de cosmonautes tentant de convaincre des familles de fuir leurs malades et leurs défunts : l’épidémie se nourrit d’incompréhensions et la course contre la montre ne permet guère le travail d’information qu’il faudrait engager en profondeur.

Au-delà de la peur, l’immensité des défis de la santé publique en Afrique

Ebola est certes un virus effrayant de par ses symptômes terrifiants mais sa réapparition doit permettre une réévaluation de l’immensité des défis – anciens et nouveaux – de santé publique en Afrique, de la façon dont la communauté internationale y apporte des solutions à l’heure où la santé est envisagée sous le prisme de la santé globale et est considérée comme une priorité sur le plan économique et de la sécurité mondiale. Découvert en 1976 par Peter Piot, médecin épidémiologiste belge qui fut par la suite un personnage de premier plan de la lutte contre le sida (au sein des équipes de recherche au Zaïre, aujourd’hui la RDC, puis en tant que responsable de l’Onusida de 1995 à 2008), le virus Ebola n’a pas fait l’objet de recherches scientifiques et biomédicales soutenues, en dehors de la surveillance épidémiologique. Les recherches médicales se sont quasiment exclusivement tournées vers la lutte contre le VIH/sida. Aucune compagnie pharmaceutique n’avait jugé intéressant d’investir dans la recherche sur un vaccin ou un traitement pour un virus dont les précédentes apparitions n’avaient concerné que quelques villages et quelques dizaines de malades et s’étaient éteintes d’elles-mêmes Ces premiers épisodes étaient pourtant très graves car ils s’étaient diffusés en lien avec des infections nosocomiales, c’est-à-dire des infections contractées à partir d’une structure sanitaire, notamment le premier en 1976 à Yambuku (RDC ex-Zaïre) dans une clinique prénatale. Bien qu’il n’existe ni traitement ni vaccin, les connaissances épidémiologiques sont suffisantes pour rappeler ce facteur particulièrement délétère aujourd’hui sur le plan de la santé publique : l’importance des transmissions nosocomiales par le biais d’injections non stériles qui ont déjà joué un rôle dans la transmission du VIH et des hépatites virales, en particulier en Afrique centrale.
La flambée de fièvre hémorragique Ebola, maladie hideuse qui condamne les malades à des souffrances et le plus souvent à la mort réclame des mesures d’urgence et de contrôle pour endiguer au plus vite sa progression. Cette crise sanitaire gravissime souligne à quel point les structures sanitaires sont dégradées mais également à risque pour les patients et – le plus souvent à juste titre – craintes par les populations qui ne s’y précipitent pas. On ne peut que souhaiter qu’elle rappelle à la communauté internationale l’impérieuse mise sur l’agenda du renforcement des systèmes sanitaires afin que ceux-ci soient mieux à même de faire face à des flambées épidémiques comme aux soins de santé primaires qui ne sont pas assurés aujourd’hui.