ANALYSES

Loi relative à l’économie sociale et solidaire : quel impact sur l’action humanitaire ?

Tribune
28 août 2014
Comment la loi du 31 juillet relative à l’économie sociale et solidaire (LESS) est-elle perçue dans le monde de l’humanitaire ?

La loi de juillet ne crée ni le domaine de l’économie sociale et solidaire, ni n’a pour objet premier l’action humanitaire. L’objet de la loi, selon le site du Sénat, est « d’encourager un changement d’échelle de l’économie sociale et solidaire dans tous ses aspects, afin de construire avec les entreprises de l’économie sociale et solidaire une stratégie de croissance plus robuste, plus riche en emplois, plus durable et plus juste socialement ».

Dans les faits, le sujet de l’économie sociale et solidaire en tant que telle n’a jamais constitué un élément significatif de débat chez les humanitaires. Encore aujourd’hui si vous vous référez à l’ordre du jour de la Conférence Nationale Humanitaire (CNH) qui s’est tenue le 31 mars 2014, vous verrez que les acteurs de l’humanitaire sont d’abord préoccupés par « les types des interventions dans les situations d’urgence complexe et de fragilité », par le paradigme « Urgence-Réhabilitation-Développement » ou par la place des « ONG françaises dans un univers humanitaire mondialisé et concurrentiel »(3).

La loi ESS n’est-elle pas, malgré tout, un outil d’harmonisation, notamment face à l’émergence de nouveaux acteurs de l’humanitaire?

Le fait de voir dans la loi un moyen de purger le débat sur l’humanitaire est une illusion. Chacun a aujourd’hui sa définition de l’humanitaire, souvent en l’adaptant (parfois au forceps) au renforcement de ses propres intérêts. On peut même parfois parler d’approche « guichet » de la notion qui varie alors au gré du bailleur ou du donateur. Par exemple, si votre définition ne colle pas à celle du code général des impôts, du bulletin officiel des finances publiques (BOFIP) et de la jurisprudence, vous ne serez pas éligible au mécénat, même si votre conception de l’humanitaire est plus conforme, selon vous, à l’esprit d’Henri Dunant ou des « french doctors ». Vous aurez donc, pour des raisons liées à vos besoins en financement, tendance à recaler votre vision et vos pratiques initiales sur la loi fiscale. En outre, on soulignera que la LESS vise les personnes privées. Or, les collectivités publiques se considèrent également comme des acteurs de l’humanitaire.
Cela dit, l’article 1er de la loi est suffisamment large du point de vue des acteurs et de leurs fonctions pour y inclure l’humanitaire. En effet, il définit l’économie sociale et solidaire comme « un mode d’entreprendre et de développement économique adapté à tous les domaines de l’activité humaine(…) et rappelle qu’elle est « composée d’activités (…) mises en œuvre (…) par les personnes de droit privé constituées sous la forme (…) de fondations ou d’associations régies par la loi du 1er juillet 1901 (…).
La loi vise bien également les structures porteuses de projets humanitaires, structures adaptées à une « gouvernance démocratique » et à un « but autre que le seul partage des bénéfices ».
Je ne parlerai donc pas d’harmonisation, et encore moins d’inclusion ou de dilution des objectifs de l’humanitaire dans ceux de la loi, qui met en exergue la croissance et la création d’emplois, objectifs qui sont éloignés de la pensée humanitaire. En revanche, je parlerais de clarification, de sécurisation juridique et d’outils nouveaux mis également à la disposition des humanitaires. En effet, la loi consacre de nombreux articles à l’utilité sociale, au droit et à l’encouragement des associations, au volontariat associatif, aux titres associatifs ou encore aux subventions publiques.
On peut rajouter, s’agissant de l’article 15 de la loi qui aborde l’innovation sociale, que les ONG humanitaires apportent beaucoup dans ce domaine. Je citais précédemment la CNH de mars 2014 ; celle de 2011 a montré combien les ONG tentent d’influencer les pratiques publiques à partir de leur vision et de leur expérience du terrain. On évoque fréquemment la tentation d’instrumentalisation de l’humanitaire par l’Etat, mais on cite moins souvent l’apport de l’humanitaire à la sphère publique, même si tout cela doit être relativisé tant la relation Etat/ONG est asymétrique.

Pouvez-vous illustrer votre analyse en matière de sécurisation juridique ?

Par exemple, les dispositions de l’article 71 de la loi sont les bienvenues dans le domaine humanitaire français qui, confronté à un « univers mondialisé et concurrentiel », voit des associations se réorganiser pour atteindre une taille critique. Cet article comble un vide juridique en matière de fusion des associations.

On connaît l’appétence des associations reconnues d’utilité publique (RUP) pour les fondations RUP, déçues de ne pouvoir collecter comme elles les dons imputés sur l’Impôt solidarité sur la fortune (ISF). Désormais, l’article 83 dispose qu’une « association régie par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association (…) peut être transformée en une fondation reconnue d’utilité publique sans donner lieu à dissolution ni à création d’une personne morale nouvelle ».

On peut donc légitimement penser que les acteurs de l’humanitaire, notamment ceux qui ont une activité de recherche et de développement, vont ausculter la loi pour voir quelles seront les structures les plus adaptées pour supporter leurs projets. En effet, l’article 1er de la loi ESS ne vise pas que les structures traditionnelles de l’économie solidaire, à savoir les associations, les fondations, les mutuelles et les coopératives, mais bel et bien, sous conditions certes, les sociétés commerciales.

Autrement dit, la loi dans certains cas va favoriser et sécuriser les montages juridiques et fiscaux et dans d’autres simplifier les situations.

En quoi la loi peut-elle simplifier certaines situations ?

Si les articles 71 et 83, par exemple, vont sécuriser des montages juridiques, l’article 74 devrait au contraire limiter l’intérêt de recourir aux fonds de dotation ou à la reconnaissance d’utilité publique (RUP).

En effet, l’article 74 étend le champ du bénéfice des libéralités entre vifs ou testamentaires et la possession et l’administration de tous immeubles acquis à titre gratuit aux associations simplement déclarées. Autrement dit, certaines associations déclarées qui ne remplissaient pas les conditions pour solliciter la RUP, vont pouvoir disposer, sous conditions, de ressources nouvelles (legs par exemple) sans passer par l’habile création de fonds de dotation, qui sont aussi pour elles un outil de collecte indirecte de legs.

En outre, les associations qui hésitent à solliciter la RUP pour des raisons de fonctionnement et de gouvernance (refus de statuts types, des tutelles…) ou d’organisation (l’association RUP ne peut être contrôlée par une autre entité) ou encore en raison de leur souci d’indépendance (la RUP est une « haute faveur » de l’Etat (1)), vont pouvoir rendre des arbitrages en matière d’organisation moins conditionnés par la quête de certains types de ressources, comme les libéralités.

Justement, en matière de ressources, quelles sont les avancées ?

S’agissant des subventions publiques, et on oublie souvent que la plupart des associations humanitaires sont de grandes consommatrices de subventions, la loi clarifie les termes. Cette clarification peut avoir un impact sur les débats qui portent notamment sur l’indépendance des associations humanitaires par rapport aux pouvoirs publics. En effet, l’article 59 de la loi ESS rajoute un article 9-1 à la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations. Cet article dispose que les subventions sont des « contributions facultatives (…), justifiées par un intérêt général (…) » au profit des activités de « l’organisme de droit privé ». Le texte précise que les projets sont « définis et mis en œuvre par les organismes de droit privé bénéficiaires » et que « ces contributions ne peuvent constituer la rémunération de prestations individualisées répondant aux besoins des autorités ou organismes qui les accordent. »

Autrement dit, l’argument qui revient à souligner que les associations subventionnées sont moins indépendantes que celles financées par des fonds privées devrait désormais être plus nuancé (9). Certes, on pourra toujours rétorquer que l’Etat n’octroie des subventions que lorsque ces dernières répondent à sa politique. Néanmoins, les choses sont clairement renforcées sur le plan juridique et sur celui du management des finances publiques.

Une autre idée à retenir concerne le renforcement de l’intérêt pour les associations et les souscripteurs potentiels de recourir aux titres associatifs.

On rappellera que les titres associatifs ont la particularité d’être générateurs de « fonds propres » car ils ne sont remboursables, à l’origine, qu’à l’initiative de l’émetteur. La loi a pour objectifs de rendre le marché des titres plus liquide et les taux servis plus attractifs. En conséquence, les associations humanitaires, qui sont confrontées à l’urgence opérationnelle et qui font régulièrement appel aux subventions publiques, pourront trouver là un moyen complémentaire de renforcer leur trésorerie pour faire face aux délais d’attribution desdites subventions.

En conclusion, la loi aura-t-elle un impact positif ?

La loi va dans le sens des attentes formulées dans Le Huffington Post (en association avec le Monde), dans le prolongement de la CNH de mars 2014, par Alain Boinet, fondateur de l’association humanitaire Solidarités international, et Benoit Miribel, Président d’honneur d’Action Contre la Faim. Selon eux, il reste désormais à « concrétiser les engagements et à préparer l’avenir qui passe par un partenariat accru avec les ONG nationales ainsi que l’affirmation d’une distinction claire entre objectifs politiques des gouvernements et les priorités humanitaires des ONG » (10).

(1) Des humanitaires estiment que la RUP, qui repose sur une procédure discrétionnaire, constitue bien une haute faveur de l’Etat qui peut donc être interprétée comme un manque d’indépendance. En évoquant le statut de la Milice, ils rappellent, non sans malice, qu’à chaque époque ses RUP (AZEMA Jean-Pierre. La Milice. In : Vingtième Siècle. Revue d’histoire. N°28, oct-déc 1990. p.88. doi :10.3406/xxs.1990.2303)