ANALYSES

Europe : 6 choses que les politiques devraient rappeler aux électeurs avant le vote

Tribune
23 mai 2014
Mitterrand avait déjà déclaré, au moment du traité de Maastricht, que la fracture n’était plus entre la gauche et la droite mais entre les élites et une grande partie de l’opinion publique. La crise économique, financière, politique et morale que connait la majorité des États membres de l’Europe, et surtout la France, conduit à un désintérêt voire une hostilité vis-à-vis des instances européennes.

Les partis populistes utilisent les vulnérabilités des exclus ou ‘outsiders’ de l’emploi et de la protection sociale, les peurs et les frustrations des perdants de la mondialisation pour proposer des solutions démagogiques (sortir de l’euro pour retrouver de la compétitivité et une souveraineté nationale, ou de l’espace Shengen comme réponse au problème de l’immigration).

Dans un contexte de montée en puissance des émergents, de basculement de la richesse et de la puissance mondiale et de retour à certains signes de la Guerre froide, l’Europe n’est ni une puissance ni le cœur des innovations. La maison Europe a beaucoup de failles dans sa construction qui est loin d’être achevée.

Elle est menacée de l’intérieur par ceux qui l’habitent et ne respectent pas les règles d’une copropriété. Elle l’est surtout de l’extérieur par ceux qui ne veulent plus l’habiter. L’Europe des marchés, des normes, ne fait plus rêver les jeunes générations qui considèrent la paix comme un acquis et qui veulent trouver leur place dans la société en train de se construire

Face à ces menaces de nombreux responsables/irresponsables politiques se déchirent au sein des grands partis français, envoient des ‘seconds couteaux’ les représenter aux élections et font du ‘sauve qui peut’ en constatant les positions de leur électorat et leur fuite vers des vendeurs d’illusion.

Ils confondent les enjeux nationaux et européens ; ou bien, ils font des plans sur la comète pour redéfinir les règles de copropriété, réaménager les pièces de la maison, redéfinir ceux qui ont le droit d’y habiter.

Face à la fracture sociale et générationnelle, il serait prioritaire de faire œuvre de pédagogie minimale en donnant plus de lisibilité et visibilité aux futures élections et en évitant de faire de l’Europe un simple bouc émissaire.

L’Europe souffre des défauts de communication de la part de responsables au faible charisme et de compréhension d’institutions complexes de la part des citoyens. Il serait notamment urgent que les hommes politiques rappellent aux électeurs :

1. Les acquis toujours réversibles de la construction européenne, la paix, la sortie des régimes dictatoriaux, l’Etat de droit, un marché de plus de 500 millions d’habitants mais également les insuffisances perfectibles d’un empire normatif, ayant fait de la concurrence une priorité et ayant mis en place un processus de décision complexe et peu efficace en période de crise.

2. Les enjeux des élections des membres du Parlement européen à commencer par le choix du futur président de la Commission et l’impact de la nouvelle majorité sur les décisions européennes. Ceux-ci ne doivent pas être confondus avec les questions nationales.

3. La co-responsabilité des partis au pouvoir en France dans l’accumulation des déficits publics depuis 1975, le fait que la dette extérieure financée par appel aux marchés internationaux pèse sur les nouvelles générations et accroît le service de la dette publique. Leur réduction n’est pas un diktat de Bruxelles mais une équité intergénérationnelle, une sanction des marchés et une crédibilité pour peser dans le monde.

4. Les résultats des travaux des économistes, ayant un minimum de légitimité. Ceux-ci montrent que l’euro est globalement équilibré au niveau de la zone Euro dont le compte courant est excédentaire. Mais il est surévalué au Sud et sous évalué au Nord. La France bénéficie notamment de la baisse de la facture énergétique mais subit une perte de compétitivité sur des secteurs exportateurs hors zone euro soit 40% des exportations françaises. Ces travaux montrent des coûts très élevés de la sortie de l’euro aussi bien en termes d’explosion de la dette que de perte de confiance des marchés.

5. Le poids décisif des États dans les décisions européennes, le choix de ses représentants au sein du Conseil européen ou de la Commission émanation des États.

6. Face au caractère pluridimensionnel de la crise économique, financière, monétaire, sociale, politique et morale, les leviers d’action diffèrent au niveau de la mondialisation (paradis fiscaux, régulation financière..), des États nations (réformes structurels) et de l’Europe.

Bien entendu, les politiques doivent aussi dessiner des réformes souhaitables pour le futur de l’architecture européenne concernant une Europe à plusieurs vitesses (des 28, des 18 de l’euroland, des zones de proximité), le rôle respectif du Parlement face à la Commission et au Conseil européen.

Un gouvernement économique ou un directoire de la zone euro est souhaitable et l’euro devrait être adossé à une souveraineté politique. La Banque centrale devrait jouer le rôle de prêteur en dernier ressort et utiliser des moyens non conventionnels pour éviter la déflation et peser à la baisse sur l’euro. On peut mettre en place au sein de la zone euro un ‘serpent social et fiscal’ faisant converger à terme les politiques fiscales et sociales.

L’important est de redonner sens au rêve européen en rappelant les déchirements du passé et les défis du futur face à la puissance américaine et à celles émergentes ainsi qu’aux dérives de la financiarisation du capitalisme.

L’Europe doit répondre aux besoins des laissés pour compte en mettant en place des systèmes européen d’appentissage et de formation ne se limitant pas aux élites d’Erasmus et en appuyant des projets euroépens générateurs d’emplois.

Réduire la disjonction entre la mondialisation des firmes et la régulation des États passe par des partenariats publics-privés financés par des emprunts européens mais également des appuis directs de l’échelon européen avec des territoires et des districts industriels.

Une fois clarifiés les enjeux prioritaires, le débat politique verrait évidemment se confronter les grands partis politiques sur des programmes. Il y a plusieurs moyens de réduire la dette extérieure, il y a divers arbitrages possibles entre compétitivité économique, équité sociale et soutenabilité environnement.

Plusieurs rythmes sont possibles pour réaliser la transition énergétique. Il n’y a pas de recettes miracles pour réduire le chômage et toute décision est porteuse de coûts, d’avantages et de risques différenciés selon les catégories.

Il n’est pas aisé de mener ensemble trois objectifs en partie contradictoires, la baisse des déficits publics, la compétitivité extérieure et la réduction du chômage.

Ces débats sont fondamentaux au débat public mais la priorité est que le rêve européen ne devienne, si ce n’est un cauchemar, du moins une chimère.


->http://leplus.nouvelobs.com/] Cette tribune est publiée en partenariat avec [Le Plus du Nouvel Obs


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