ANALYSES

Elections indiennes. Le parti nationaliste hindou au pouvoir

Tribune
16 mai 2014
Annoncé comme un scrutin phare pour la démocratie indienne, il se révèle être un scrutin historique au regard des changements politiques qu’il occasionne, mais aussi au regard des changements idéologiques qu’il implique en portant à la tête du pays Narendra Modi, un leader nationaliste, néolibéral économiquement, considérant l’Inde comme un pays hindou, à rebours du multiconfessionnalisme sur lequel reposait jusque-là le projet démocratique indien.
Majorité absolue pour les nationalistes en nombre de sièges…

Le parti nationaliste hindou (BJP) a remporté 284 sièges sur les 543 sièges à pourvoir à la Lok Sabha (la chambre basse du Parlement, équivalent de l’Assemblée nationale en France), ce qui signifie que le parti a remporté la majorité des sièges (272 sièges) et pourrait diriger le pays sans avoir besoin de l’appui de la coalition de droite sur lequel il comptait s’appuyer. Surtout, cela signifie qu’il n’aura pas à composer avec les nombreux et puissants partis régionaux qui font les coalitions et qui obligent traditionnellement les grands partis à faire de nombreux compromis. Toutefois, il est probable que c’est sous la bannière de la National Democratic Alliance (NDA), coalition des partis de droite qui obtient au total 337 sièges, que se présentera le gouvernement du futur Premier ministre, Narendra Modi, comme une manière purement symbolique de suggérer le rassemblement politique de l’Inde.

Dans le même temps, face à ce score historique pour la droite nationaliste hindoue, ces élections enregistrent le plus mauvais score jamais réalisé pour le parti du Congrès, parti historique de l’indépendance, qui connaît là une défaite cinglante et humiliante en ne récoltant que 44 sièges, alors qu’il disposait de 206 sièges lors de la mandature précédente. De même, la coalition au pouvoir que le parti dirigeait, l’United Progressive Alliance (UPA), n’a remporté que 58 sièges, contre 262 en 2009.

Le parti de l’homme ordinaire (Aam Aadmi Party, AAP), parti anti-corruption qui se présentait aux élections pour la première fois, n’a pour sa part obtenu que quatre sièges, tandis que les autres partis, des partis régionaux ou bien réunis au sein de la coalition « the Left » (la gauche), ont remporté 144 sièges.

La géographie par Etats des sièges remportés par le parti nationaliste nous donne une idée de l’ampleur de la victoire. Dans l’Uttar Pradesh, Etat clé des élections en raison de ses 200 millions d’habitants (Etat le plus peuplé d’Inde), le BJP a largement gagné son pari de reconquête, puisqu’il a remporté 71 des 80 sièges à pourvoir, dont un siège pour le leader Narendra Modi à Varanasi, tandis que le Congrès n’a remporté que deux sièges, ceux convoités par Sonia Gandhi à Rae Bareli et par Rahul Gandhi à Amethi, siège historique pour la famille Gandhi.

Deux autres Etats, situés dans l’Ouest du pays et bordant le Pakistan, démontrent l’ampleur de la victoire du parti nationaliste, qui considère l’Inde comme un Etat hindou. Au Rajasthan, où le Congrès avait emporté 20 sièges en 2009, le BJP a emporté les 25 sièges à pourvoir ; quant à l’Etat du Gujarat, fief du candidat du BJP au poste de Premier ministre, l’objectif de Narendra Modi de remporter les 26 sièges à pourvoir a été atteint – en 2009, le Congrès avait emporté 11 sièges.

Majorité relative en nombre de voix et vent de changement radical en perspective

Si la victoire du BJP est sans équivoque quant aux messages qu’elle envoie au Parti du Congrès, il convient toutefois de rappeler que le mode de scrutin, un système uninominal majoritaire à un tour, dont l’un des effets est de donner bien souvent des majorités stables, amplifie considérablement les victoires en nombre de siège par rapport au nombre de voix réellement obtenus. En l’espèce, le BJP a obtenu près de 32 % des voix (contre environ 20 % pour le Congrès), ce qui se traduit par 52% des sièges à la chambre basse pour le BJP, contre 8 % des sièges pour le Congrès. En 2009, le BJP n’avait obtenu que 18 % des voix des électeurs, tandis que le parti du Congrès recueillait en 2009, 28 % des suffrages des électeurs. Ces éléments de comparaison en pourcentage des voix avec le scrutin précédent confortent la victoire du parti nationaliste, puisque celui-ci a considérablement augmenté ces voix par rapport à 2009. En revanche, même s’ils représentent le score le plus bas jamais réalisé par le parti du Congrès et s’ils révèlent la profonde défiance des électeurs à l’égard de ce parti, ils indiquent que le parti du Congrès dispose encore, aujourd’hui, d’une base électorale substantielle. Ces éléments doivent au moins atténuer la portée des commentaires à l’encontre de l’effondrement ou de la fin du parti du Congrès, et des responsabilités que certains voudront faire porter au vice-président du parti, Rahul Gandhi, non officiellement investi comme le candidat du Parti du Congrès, mais que les médias ont présenté comme le leader de la coalition de centre-gauche et donc comme le grand perdant d’une élection personnalisée à outrance.

La défaite du Parti du Congrès scelle dix ans d’exercice du pouvoir marqué par le ralentissement de l’économie, par une augmentation des prix de nombreux produits alimentaires de base en Inde et par de nombreux scandales de corruption, dans un pays où celle-ci est chronique dans toutes les strates de l’Etat, de la société et de l’économie. Cette défaite marque également – et le tournant pourrait être alors radical – le retour en force de l’idéologie de l’hindutva (l’hindouïté), considérant l’Inde comme un pays hindou – en l’assimilant à sa majorité hindoue –, faisant fi des nombreuses autres communautés religieuses présentes dans le pays, et en premier des 130 millions de musulmans. Fortement influencé par les préceptes du mouvement nationaliste hindou Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), dont le BJP est l’aile politique, Narendra Modi ne cache pas ses penchants néolibéraux en économie, ce qui pourrait là aussi entrainer de sérieux changements dans un pays qui s’est certes ouvert à l’économie mondiale au début des années 1990, mais qui a été réticent depuis lors à toute forme de libéralisation effrénée. Les milieux d’affaires indiens et étrangers favorables à sa candidature ne s’y sont pas trompés, et le sensex, l’indice boursier indien, a salué les résultats des élections en atteignant l’un de ces meilleurs scores, à peine les premières tendances connues.