ANALYSES

Les risques d’un génocide au Soudan du Sud

Tribune
5 mai 2014
Il y a en effet une résurgence des conflits qui ont déchiré les Sudistes depuis près de 50 ans et qui ont fait un nombre de victimes proche de ceux des combats contre le Nord du Soudan. Les massacres des Dinka proches de John Garang, par les troupes composées de Nuer, menées par Riek Machar en 1991, restent présents dans les mémoires. L’indépendance avait provisoirement atténué les rivalités, mais celles-ci sont réapparues en 2013 lors du désarmement des Nuer au sein de l’armée et de l’éviction du vice-président Riek Machar en juillet 2013. La rivalité, en vue des présidentielles de 2015, entre Salva Kiir et Riek Machar et les enjeux du contrôle du pétrole conduisent à un cycle d’exactions, de vengeances et son lot de viols, de pillages, et d’affrontements politiques à connotation ethnique. Aujourd’hui, près de 70.000 d’habitants de la capitale Juba vivent ainsi sous la protection de la MINUSS de l’ONU.

Rappelons que les conflits Nord/Sud ont fait plus de 2 millions de morts et plus de 5 millions de déplacés jusqu’à l’accord de paix de 2005. Le référendum conduisant à l’indépendance du Sud a eu lieu le 9 janvier 2011 ; celui de la région d’Abyei à la lisière du Nord et du Sud a été repoussé.

Les contentieux entre le Nord et le Sud demeurent très nombreux. Les plus importants sont le partage des ressources pétrolières et de la dette, la délimitation des frontières entre le Nord et le Sud, la citoyenneté des sudistes vivant au Nord Soudan. Le Kordofan sud et le Nil Bleu, situés au Nord Soudan, contestent le pouvoir de Khartoum. Le Nord, soutenu par la Ligue arabe, la Chine et la Russie, ne pouvait accepter sans contreparties cette indépendance alors que 70% des richesses pétrolières se trouvent au Sud et que le pétrole représente 40% des revenus du gouvernement. Il y a toujours eu la volonté du Nord d’affaiblir politiquement le Sud pour contrôler ses ressources naturelles vitales pour son développement et la survie politique du régime. Le Sud, soutenu par les puissances occidentales notamment les Etats-Unis, parrain de l’indépendance, mais également par l’Ouganda, le Kenya, Israël et le Rwanda, pouvait-il gérer l’indépendance alors que le Soudan du Sud est une des régions les plus pauvres de la planète et que les forces politiques et militaires sont divisées ? Le tribalisme, attisé par le Nord, pouvait conduire à une guerre civile. De nombreux problèmes et litiges existaient pour délimiter les frontières. Les Etats-Unis étaient-ils prêts à lâcher complètement Omar el-Béchir alors que celui-ci est aussi un rempart contre le radicalisme islamiste et Al-Qaïda ? Les pays voisins pouvaient-ils accepter une sécession qui serait un précédent se heurtant au principe d’intangibilité des frontières avec des risques de contagion ?

Rompant avec le principe de l’intelligibilité des frontières de l’OUA de 1963, l’indépendance de juillet 2011 a été acquise suite à un référendum donnant 98% de votes favorables mais a conduit à un Etat non viable et pré-failli. Le Soudan du Sud dispose de la richesse du pétrole (500.000 barils/jour, 5 milliards de barils de réserves et 98% des recettes publiques et des exportations), tout en étant dépendant en raffineries et oléoducs du Soudan, avec un niveau de sous-développement économique, un des plus élevé du monde, et une absence d’Etat et de forces politiques. Le pouvoir n’a été structuré que par plus de 20 ans de guerre au sein du MPLS, organisation militaire et non politique. La conscience nationale est embryonnaire et conduit à des référents ethno-régionaux avec un pouvoir dominant des Dinkas.

Trois scenarii étaient envisageables au moment de son indépendance :
– Une indépendance accompagnée d’accords politiques et économiques entre le Nord et le Sud sur le partage de la rente pétrolière et des aides du Nord au Sud ;
– Une reprise des conflits entre le Nord et le Sud appuyée par le Darfour, le Kordofan et le Nil Bleu, deux Etats opposés à l’islamisation ;
– Une guerre civile au Sud entre les Dinkas dirigés par Salva Kiir, alliés du JEM du Darfour et du Kordofan, et les Nuer et les forces White Army soutenant Riek Machar, pour le contrôle du pouvoir et du pétrole. Ce troisième scénario l’a emporté en 2013 et 2014 avec affrontement des forces gouvernementales et rebelles, échec du cessez-le-feu d’Addis-Abeba du 23 janvier 2014, cycle d’exactions et de vengeance notamment à Bor, fief des Dinka, et dans la ville de Bentiu, capitale de l’Etat d’Unité pétrolifère avec enrôlement d’enfants soldats, déplacés et risques de famines au moment où la saison des pluies commence. Les enjeux du conflit sont à la fois politiques et pétroliers. Bentiu, ville stratégique du point de vue pétrolier, a été prise par les troupes de Machar avant d’être reprise par les troupes loyalistes le 10 janvier 2014.

Cette guerre civile a aussi une dimension régionale avec ses ramifications avec le Darfour et les Etats du Kordofan Sud et du Nil Bleu au Soudan. Plusieurs pommes de discorde demeurent entre le Soudan et le Soudan du Sud : le partage des revenus pétroliers (qui a conduit à des arrêts de la production au Sud asphyxiant l’économie), la reconnaissance des droits de nationalité aux Soudanais du Sud vivant au Soudan et les frontières notamment d’Abyei. La rébellion du Darfour s’est réunifiée avec le SPLM-N, a formé un Front révolutionnaire du Soudan (SRF) et tend à se renforcer. Les conflits liés aux enjeux pétroliers et aux revendications des minorités face au pouvoir de Khartoum se sont développés à Abyei, dans le Kordofan Sud jouxtant le Darfour et le Nil Bleu. Les jeux des puissances se sont modifiés. Ainsi la Chine, fidèle alliée d’Omar El-Béchir, est devenue alliée du Soudan du Sud où elle a ses principaux intérêts ; elle finance avec le Japon un oléoduc permettant d’évacuer le pétrole vers le Kenya et non Port Soudan. Les pays africains proches du Soudan du Sud, notamment le Tchad et la Centrafrique, sont concernés par ce conflit. Les Etats-Unis ont demandé un déploiement de forces africaines pour réduire la conflictualité.

Ainsi, outre les drames humanitaires et les menaces d’un génocide, le Soudan du Sud est un enjeu géopolitique majeur qui concerne à la fois les pays africains mais également les grandes puissances à commencer par les Etats-Unis et la Chine.
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