ANALYSES

Jours de vote en Inde

Tribune
24 avril 2014
Si certains États n’auront, au regard du nombre de sièges qu’ils représentent, qu’une influence toute relative dans la détermination du futur gouvernement, en revanche, certains États seront scrutés avec d’autant plus d’attention que les résultats des élections législatives de 2009 ne semblent plus refléter aujourd’hui l’opinion des électeurs. Après dix ans d’un gouvernement de coalition de centre-gauche dirigée par l’Indian National Congress (INC, parti du Congrès), la défiance est de mise. L’État du Rajasthan apparaît ainsi comme le parfait exemple du rejet dont semble faire l’objet la coalition au pouvoir, et par la même occasion le révélateur des incertitudes quant à la tournure que prendra ce scrutin. En 2009, l’Indian National Congress avait emporté 20 sièges sur les 25 à se départager lors des élections législatives ; or, les élections pour l’assemblée locale de décembre 2013 ont vu le parti du Congrès s’effondrait dans cet État au détriment du BJP (qui a remporté 163 sièges sur 200), laissant augurer ce que pourraient être les élections législatives du printemps 2014, dont les résultats ne seront connus que le 16 mai.

Ferveur et incertitudes électorales chez les jeunes et les femmes

Les jours d’élections, les mêmes scènes de files d’attente devant les bureaux de vote se répètent, offrant les mêmes images de citoyens indiens attendant patiemment leur tour, puis exposant fièrement l’index de leur main gauche teinté d’encre aux photographes et aux caméras à la sortie des bureaux de vote en signe de vote effectué. Cette vitalité démocratique indienne se retrouve notamment dans la mobilisation de la jeunesse indienne. Alors que la moitié de la population du pays (soit 600 millions de personnes) a moins de 25 ans, parmi les plus de 100 millions de nouveaux électeurs par rapport à 2009, une large majorité a entre 18 et 23 ans. Les choix de cette partie du corps électoral pourraient jouer un rôle important dans les résultats des élections, même si de grandes incertitudes demeurent quant au comportement électoral de cette frange de la population.

Eduquée, connectée et urbanisée, ou bien issue des classes sociales urbaines et rurales les plus défavorisées, à leur manière, ces différentes parties de la jeunesse indienne sont affectées par le ralentissement de l’économie et par le peu de perspectives que semblent leur offrir un pays miné par la corruption à tous les niveaux de l’État et de la société, dans le domaine politique comme dans le domaine économique. Si l’on peut observer dans les meetings politiques, dans les locaux servant de lieu de campagne électorale ou encore dans les bureaux de vote une large présence de jeunes indiens et indiennes, l’incertitude demeure quant aux candidats qui auront leur faveur. Le Congrès, parti qui a longtemps incarné la modernité, semble à bout de souffle après dix ans de gouvernement de coalition, dont un second mandat marqué du sceau de la crise économique et des affaires de corruption ; quant au Bharatiya Janata Party (BJP), le parti nationaliste hindou, le mélange de discours économique néolibéral et de référence aux valeurs traditionnelles de l’Hindutva (« hindouïté ») incarné par le candidat déclaré au poste de Premier ministre et dirigeant de l’État du Gujarat, Narendra Modi, semblent autant pouvoir attirer que repousser cette catégorie de population. Enfin, toujours à l’échelle nationale, parmi les partis susceptibles d’incarner le renouveau, si le tout jeune Aam Aadmi Party (AAP, parti de l’homme ordinaire), avec son leader Arvind Kejriwal et son discours anticorruption, pourrait attirer ces primo-électeurs, de nombreuses incertitudes demeurent quant à ses capacités à mobiliser la jeunesse au-delà de celles des zones urbaines connectés et vivant à l’heure des réseaux sociaux.

L’autre incertitude électorale concerne les choix qui vont être réalisés par l’électorat féminin. Là encore, quels seront les déterminants de leur vote ? Rien n’est moins sûr, même si elles auront un impact majeur sur les résultats de l’élection. La géographie électorale variera là encore selon une distinction entre zones urbaines et zones rurales, entre populations féminines éduquées trouvant dans leur trajectoire sociale et professionnelle les ressorts de leur choix et populations féminines encore marquées par les pratiques sociales et culturelles plus traditionnelles, qui verront les femmes se comporter conformément au choix de l’autorité masculine.

Parmi les instances indiennes qui œuvrent en faveur de la participation de ces populations jeunes et féminines, la commission électorale indienne joue un rôle fondamental, menant ses propres campagnes de sensibilisation et en facilitant les procédures d’inscription sur les listes électorales. Les efforts de la commission électorale semblent d’ailleurs porter leur fruit puisque depuis le début des élections, le 7 avril, les taux de participation dans de nombreux États se révèlent supérieur à ceux de 2009. Au Rajasthan, le 17 avril, la participation s’élevait à 63 %, soit 15 points de plus qu’en 2009 ; dans le Karnataka, les estimations avançaient près de 68 %, 10 points de plus qu’en 2009 ; dans certains villages, la participation s’élève à plus de 80 %. Au total, la commission électorale estime que pour cette cinquième journée de vote, le 17 avril, la participation s’élèverait à 65 %. De même, alors que le corps électoral indien se compose approximativement de 52 % d’hommes et 48 % de femmes (auxquels il convient d’ajouter les 28 000 personnes dont le genre a été considéré comme « Autres » par la commission électorale), des enquêtes semblent indiquer qu’avec plus de 60 % de participation, les femmes seraient plus nombreuses que les hommes à aller voter. À mi-chemin du parcours électoral, autant de signes encourageants quant à la vitalité démocratique du pays.

A chaque phase électorale son suspens régional

La sixième phase des élections, qui se déroule ce jeudi 24 avril, concernera 12 États et Territoires de l’Union indienne (Assam, Bihar, Chhattisgarh, Jharkhand, Jammu-et-Cachemire, Madhya Pradesh, Maharashtra, Rajasthan, Tamil Nadu, Uttar Pradesh, Bengale-Occidental, Pondicherry), dans lesquels 117 sièges seront à pourvoir sur les 543 que compte la Chambre basse indienne. Là encore, les yeux seront rivés sur les grands États de Bihar, Maharashtra, Tamil Nadu, Uttar Pradesh et Bengale-Occidental, dont les votes, phase après phase, dessinent en secret la future couleur politique du pouvoir exécutif indien.

En attendant le 30 avril, lors de la phase 7 du processus électoral indien, qui verra les électeurs de 9 États se rendre aux urnes, dont l’État du Gujarat, qui sera alors au centre de toutes les attentions. Fief du leader du parti nationaliste hindou (BJP) et favori des sondages, Narendra Modi, le Gujarat aura à pourvoir 26 sièges. Si cet État semble aujourd’hui largement acquis au parti nationaliste hindou, qui visera la totalité des sièges (contre 15 lors de la mandature précédente), cela n’empêche pas les militants politiques et les activistes sociaux de faire campagne chaque jour, avec la ferme intention de déjouer les enquêtes d’opinion.

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