ANALYSES

La politique anti-amérindienne du Canada

Tribune
11 février 2014
Par Charles Thibout, ancien assistant de recherche à l’IRIS
Ces Indian residential schools constituèrent durant des décennies l’instrument privilégié du gouvernement canadien pour réduire à néant les aspirations des Amérindiens à défendre l’intégrité de leurs territoires historiques. Le pensionnat est l’archétype de l’ « institution disciplinaire », au sens foucaldien du terme : il instaure un dispositif de pouvoir exerçant un formatage cognitif sur les individus qu’il prend en charge, c’est-à-dire les enfants autochtones dans ce cas précis. Leur but était l’assimilation, autrement dit, l’intégration complète des Autochtones au corps majoritaire de la population d’origine européenne, que ce fût en termes de représentations, de mentalités, de langue, ou de culture en général.

Dans ces institutions, la mécanique assimilatoire se matérialisait par des sévices infligés aux enfants qui ne daignaient pas abandonner leur langue maternelle, ou qui avaient le malheur d’oublier les préceptes de leurs maîtres. Coups de poing, coups de pied, cheveux arrachés, mais aussi attouchements sexuels et viols, tels sont les violences que relatèrent ces enfants lorsqu’ils parvenaient à en sortir vivants. Au-delà des dérives perverses, l’objectif était clair : couper les enfants de leurs racines, les arracher des mains de leurs parents et de leur culture en les exhortant à l’oubli. À plus long terme, l’idée était de détruire chez ces Amérindiens le sentiment d’appartenance à une entité cohérente, à un ensemble de peuples intégrés dans une communauté d’intérêts, afin de les diviser et de favoriser la pénétration « européenne » dans leurs terres, et donc faciliter l’accès aux ressources convoitées. À bien y réfléchir, cette logique garde une certaine actualité.

Si l’État canadien a fait son mea culpa , si les pensionnats ont été fermés et que le multiculturalisme s’est substitué à l’assimilation comme doctrine officielle, l’expérience montre un continuum idéologique de fait. Il suffit d’ailleurs de se référer au rapport de Human Right Watch pour voir que les progrès en ce sens restent à l’état de souhaits. Ce rapport montre en effet que les femmes autochtones, notamment en Colombie-Britannique, endurent régulièrement agressions et viols de la part de policiers qui bénéficient d’un cadre législatif résolument orienté en leur faveur (1). De manière plus générale, ce sont les représentations attachées aux Autochtones qui empêchent les mentalités d’évoluer.

La limitation graduelle des droits que subissent les Amérindiens jouit d’un terreau culturel propice. Depuis la colonisation, les Premières nations furent érigées en entités distinctes, ontologiquement disjointes du reste de la communauté nationale. Cette perception participe d’une histoire commune qui vit s’opposer les colons et leurs descendants et les Autochtones pour l’appropriation des terres : cette relation, sous des aspects différents selon le contexte chronologique, s’est perpétuée jusqu’à nos jours. Les Amérindiens ont pâti d’un processus d’essentialisation, provoquant ipso facto une confusion entre des actes isolés et la réalité de communautés entières, de surcroît fort disparates. La situation que vivent les Musulmans ces derniers temps, en France comme au Québec, permet à cet égard une certaine analogie (2).

Un mythe de l’aborigène comme antithèse intrinsèque de l’Homme blanc fut édifié, générant de la sorte un rejet, lui-même exacerbé par la détresse sociale qui ébranle actuellement ces populations (alcoolisme, chômage, etc.) (3). Leur malheur : le règne sans partage d’un néolibéralisme directement dérivé de la tradition judéo-chrétienne, qui institue le libre-arbitre en maître. Par conséquent, le malheur des Amérindiens est interprété comme le résultat de leur seul choix, délibérément formulé, sans la moindre prise en compte du rôle des déterminismes sociaux dans la manifestation de tels phénomènes. Ce qui conduit inéluctablement à une forme de racisme, de dénigrement ethnocentrique, et par conséquent à des lois liberticides et une dépossession de certains droits autochtones par le gouvernement fédéral – en réfère la loi omnibus C-45 (4).

Au final, les Autochtones sont posés en altérité radicale ; les préjugés à leur encontre versent dans l’essentialisme. Pis encore, le gouvernement est totalement imprégné par ces représentations. Résultat : les lois qu’il promulgue baignent dans l’ethnocentrisme blanchâtre.

(1) Témoignage de Human Right Watch devant le Comité spécial sur la violence faite aux femmes autochtones (IWFA), le 30 janvier 2014.
(2) Voir, à ce sujet, un article publié le 22 novembre 2013 : « France-Québec : de la laïcité à l’islamophobie ».
(3) Le taux de chômage des Amérindiens est environ trois fois supérieur à celui de l’ensemble de la population canadienne ; 34% ne valident pas leurs études secondaires (contre 15% pour le reste de la population) ; le taux de suicide parmi les jeunes Autochtones est deux fois supérieur à la moyenne nationale.
(4) Voir, à ce sujet, un article publié le 13 février 2013 : « Les Amérindiens : un cas de politique étrangère canadien ».

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