ANALYSES

Twitter arme de guerre jihadiste : le média laconique de la guerre sainte

Tribune
4 octobre 2013
Les Shebab qui ont ouvert leur premier compte Twitter à la fin de 2011 s’étaient auparavant fait connaître par des vidéos ; certaines montrant leurs ‘exploits’, d’autres davantage destinées à la prédication. Les plus célèbres étaient celles du djihadiste américain Oma Hammami dit al-Amiriki. Tantôt parlant sur le rythme saccadé d’un rappeur, tantôt expliquant un point de doctrine, tantôt racontant qu’il risquait d’être abattu dans le cadre d’une purge interne (ce qui s’est vérifié). L’Américain, à l’Ego assez développé, était devenu une star, à la fois sur les listes des terroristes les plus recherchés par le FBI et dans le cœur des apprentis djihadistes. Il leur disait que la Somalie était la terre du djihad, de la colère et de la victoire, la terre du hijrah , l’exil des combattants, et que la juste ligne doctrinale consistait à lutter pour le rétablissement du califat universel et non pour la mise en œuvre de la charia dans un seul pays, comme le prétendaient les révisionnistes ‘nationalistes’. Un mélange de maximalisme doctrinal, de lyrisme verbal et de séquences inspirées de la culture ‘jeune’ des clips.

D’où la question : sommes-nous en présence d’une exception somalienne témoignant d’un sens aigu de la communication, ce qui expliquerait (ou refléterait) l’attractivité du combat des shebab pour les touristes terroristes ? Il nous semble que la réponse est non à la fois parce qu’une tendance générale pousse à l’utilisation de Twitter pour accompagner toute forme d’activisme et parce que les djihadistes ont des raisons particulières de l’apprécier.

Du point de vue du militant, quels sont les atouts de Twitter ?
La vitesse et la portabilité d’abord. On peut tweeter d’une main sur son téléphone portable sans lâcher sa Kalachnikov ou sa banderole de l’autre. Pour l’attaquant ou celui qui prend l’initiative, Twitter aide à avoir un temps d’avance sur l’adversaire, surtout si l’adversaire est une institution ou une administration où chaque ‘élément de langage’ que l’on donne à la presse doit être approuvé par dix supérieurs.
Pas besoin de webmestre, d’adresse URL ou de logiciels sophistiqués pour lancer un message, accompagné d’images ou renvoyant à des documents plus consistants, et qui, par la grâce du hashtag et du moteur de recherche, peut devenir contagieux.
Pour un groupe dispersé (deux combattants qui ne sont pas à proximité immédiate, ou un exécutant et le porte-parole à l’abri) Twitter fait lien, tout en permettant de témoigner de la situation à l’égard de la presse étrangère et d’adresser des défis homériques à l’adversaire. En sens inverse, pour une armée comme Tsahal, Twitter présente des avantages non négligeables (outre le fait qu’il y ait peu de chances que la compagnie clôture le compte des Forces Armées d’Israël pour contenu haineux) : capacité de fournir instantanément des ‘preuves’ (liens conduisant à des photos ou vidéos bien choisies) pour la presse mondiale, mais aussi possibilité de fournir des arguments ou du matériel documents et images à ses sympathisants, possibilité de submerger la propagande adverse…
À ce jeu, les groupes décentralisés, voire spontanés comme une foule participant à une manifestation, tirent quelques avantages de leur nombre et de leur dispersion : ils peuvent mieux se coordonner, prendre des décisions collectives sans en référer à une hiérarchie, parfois ils mobilisent ce qu’il est convenu d’appeler l’intelligence collective, et enfin ils peuvent apporter des points de vue très diversifiés sur la situation. Par exemple des images de la répression venues de diverses sources et qui remonteront immédiatement aux médias étrangers…

Les djihadistes ont-ils une raison plus particulière de s’intéresser à Twitter ? Chez les talibans d’Afghanistan, lors des affrontements entre Tsahal et le Hezbollah, en Syrie ou ailleurs, ils semblent s’imposer face à leurs concurrents :

– Les sites classiques avec une adresse URL qui présentent deux inconvénients :
1) Ils peuvent être hackés (ce qui oblige à changer d’adresse URL et contraint vos partisans à vous suivre d’adresse en adresse comme à la chasse au furet : ce fut le cas du fameux ‘site d’Al-Qaïda’ connu comme al Neda).
2) Le responsable peut être arrêté comme vient de l’être al-Nomandy, le webmestre d’un site djihadiste français ou le naïf ‘islamiste présumé’ qui se fait prendre en se connectant. Variante : le magazine en ligne (comme Inspire, produit par AQPA en Pdf et en anglais), mais qu’il faut aller télécharger quelque part.

– Forums moins repérables puisqu’en principe des opinions diverses s’y expriment et non pas le message d’un auteur unique. Ces forums servent – les journalistes nous l’ont assez répété – à s’auto-radicaliser, à entrer en contact avec d’autres sympathisants, à resserrer ses liens avec la communauté, à s’instruire et, le cas échéant, à suivre les premières pistes pour aller faire son djihad en Syrie, au Pakistan ou ailleurs. Ces forums permettant un contact avec la base auraient donc pour les chefs djihadistes une fonction vivier (recruter et former) et une fonction entonnoir (il faut être mieux connu pour passer d’un forum très ouvert à une discussion plus privée, prouver l’authenticité de ses convictions pour aller plus loin, etc.). Il y a plusieurs années, on avait même vu Zawahiri à l’époque, second de ben Laden, inaugurer une ‘foire aux questions’ en répondant sur la Toile aux demandes des internautes soucieux de se renseigner directement. Une sorte de ‘djihad pour les nuls’ en ligne.
Le problème du forum est qu’en dépit des précautions prises par les responsables, les services anti-terroristes peuvent les infiltrer (il existe des logiciels assez sophistiqués qui aident à se faire passer de façon plus crédible pour un jeune musulman), les employer comme pots de miel pour attirer des suspects, tracer les réseaux en formation, etc. Encore faut-il qu’ils repèrent les signaux faibles à temps : ainsi les deux frère Tsamaev, responsables de l’attentat de Boston, avaient mis en ligne bien des choses très révélatrices qui n’ont été repérées qu’après coup.

– La vidéo, enfin. Nous avons souvent discuté le paradoxe qui fait que des terroristes salafistes (donc en principe hostiles à toute utilisation de l’image, acte démiurgique d’imitation qui offense Dieu) ont parfaitement compris le principe de la guerre de l’image. Ils se sont dotés de véritables structures de production vidéo : cassettes de propagande montrant les mouhadjidines, prêches, preuves de vie, voire images d’exécution d’otages… Toutes ces images sont censées porter la crainte dans le cœur des méchants et encourager les vrais musulmans. Les vidéos étant sur des plates-formes de partage et étant rapidement reprises par d’autres sites, il suffit d’un point d’accès dans le monde pour être consultable de partout avec des problèmes minimaux de censure et de sécurité. Mais la lourdeur même relative de la production et du montage font des vidéos des outils pour les plus organisés ou une expression moins immédiate.

Twitter présente des qualités de vitesse, viralité, interactivité, renvoi possible à des contenus plus riches, etc… idéales dans le feu de l’action : le contenu peut être retrouvé soit par les followers donc par la communauté, soit par un système de recherche facile. Toutes choses fortes appréciables pour un mouvement international. Même si les autorités peuvent en principe géolocaliser les utilisateurs, dénoncer les contenus, agir sur la société Twitter, faire de l’infiltration ou des leurres, etc., il est souvent trop tard et le message est déjà parti, reproduit, commenté…

Reste, nous pensons-nous, un atout purement sémantique de Twitter : n’avoir droit qu’à 140 caractères pour s’exprimer favorise la sentence lapidaire, le slogan simplificateur, l’adresse solennelle au peuple ou à l’ennemi, l’affirmation brute, voire l’injure et le défi (selon une étude japonaise, les tweets qui sont le plus repris sont ceux qui se situent dans le registre de la colère)… Toutes choses qui conviennent parfaitement au registre des djihadiste qui est celui de l’autorité des sources religieuses, des certitudes assénées et de l’humiliation ou de la menace pour l’adversaire.
Paradoxe : le virtuel nous fait redécouvrir la force du lapidaire.
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