ANALYSES

La Corne de l’Afrique et la Péninsule arabique : si proches et si peu connectées

Tribune
18 septembre 2013
Par Patrick Ferras, Directeur de l’Observatoire de la Corne de l’Afrique
Comment peut-on qualifier les relations entre la Corne de l’Afrique et la Péninsule arabique ?
La Péninsule arabique et la Corne de l’Afrique ont des liens historiques anciens : une proximité géographique, l’influence et l’expansion de l’islam et des activités commerciales entre les deux rives. En traversant la mer Rouge, les compagnons du prophète avaient trouvé refuge auprès du roi chrétien d’Éthiopie. Mais aujourd’hui, elles constituent deux régions peu homogènes et peu intégrées sur le plan économique. Il en découle des relations le plus souvent bilatérales ; bref elles ne répondent pas à une politique régionale de bloc. Nous pouvons noter des relations étroites entre l’Éthiopie et l’Arabie saoudite, le Yémen et Djibouti, le Qatar et le Soudan. Depuis la crise économique de 2008, nous assistons à un renouveau d’intérêt de la Péninsule arabique vers la Corne de l’Afrique. Elles ne sont pas encore inscrites dans un cadre déclinant tous les aspects économiques des deux régions. Les relations actuelles entre ces deux espaces sont encore modestes.

Pouvez-vous donner quelques exemples des relations économiques et commerciales entre les deux régions ?
Afin d’assurer leur sécurité alimentaire, des États de la Péninsule arabique investissent dans la location de terres en Éthiopie et au Soudan. L’aide à l’étranger apportée par les États du Golfe (principalement Arabie saoudite, E.A.U. et Qatar) sous diverses formes (charité, aide au développement) est conséquente et est en direction de tous les pays de la Corne de l’Afrique. Depuis longtemps, le commerce de bétail en provenance de la Corne de l’Afrique (principalement de Somalie et d’Éthiopie) demeure déterminant pour la Péninsule arabique. Ensuite il y a des phénomènes migratoires de l’ouest vers l’est – temporaires et spirituels liés au pèlerinage vers les lieux saints de l’islam – ou de plus longue durée quand il s’agit d’une migration de travail qui est loin de correspondre à des standards sociaux élevés. Aujourd’hui cette dernière représente pour les pays de départ une manne financière conséquente.

Sur le plan sécuritaire, quelles sont les implications des États de la Péninsule arabique dans la Corne de l’Afrique ?
Les relations bilatérales Arabie saoudite – Qatar, d’un côté et Éthiopie – Érythrée, de l’autre, influencent les politiques étrangères de l’ensemble de ces deux régions. L’Érythrée comme le Qatar refusent d’être considérés comme des vassaux des deux puissances régionales que sont l’Éthiopie et l’Arabie saoudite. Mais seul le Qatar, fidèle à sa politique de visibilité est très présent dans la résolution ou la médiation des conflits de la Corne de l’Afrique. Il peine cependant à afficher des résultats concrets (Djibouti, Darfour). Le Yémen et la Somalie, deux États faillis, représentent une menace pour la paix régionale (notamment avec les actions d’Al-Qaïda dans la Péninsule arabique et des Shabaab) et pour la construction politique des États. Leurs liens sont régulièrement mis en lumière par les rapports de groupe de l’embargo sur la Somalie.
Ces deux régions stratégiques restent sous l’étroite surveillance de la communauté internationale dans le cadre de la lutte contre la piraterie et le terrorisme. La France avec des bases à Djibouti et aux E.A.U., et les États-Unis avec Djibouti, Bahreïn, le Qatar, les E.A.U. y possèdent des points d’appui militaire d’importance. La mer Rouge est aussi un lieu d’affrontement de puissances extérieures à la Corne de l’Afrique et à la Péninsule arabique (Iran, Israël).
Les vols directs entre Addis Abäba (Éthiopie) et Doha (Qatar) interviendront d’ici quelques jours. Ils manifestent la reprise des relations diplomatiques entre l’Éthiopie et le Qatar (1) . Celui-ci, un des derniers interlocuteurs de l’Érythrée, pourrait s’investir en faveur d’une amélioration du statu quo « ni paix ni guerre » qui prévaut entre les deux Frères ennemis de la Corne de l’Afrique (2) .

(1) Elles étaient interrompues depuis avril 2008. L’Éthiopie accusait le Qatar de créer l’instabilité dans la Corne de l’Afrique et de soutenir le terrorisme en Somalie.
(2) Éthiopie et Érythrée : titre de l’ouvrage de Fabienne Le Houérou.


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