ANALYSES

Budget de défense du Japon pour 2014 : à la hauteur des défis ?

Tribune
11 septembre 2013
Les hauts fonctionnaires du ministère de la défense ont déclaré avoir besoin de ces fonds supplémentaires, entre autres pour créer une nouvelle unité de type Marines américains, souligne l’AFP(2). Elle aurait pour objectif de protéger les îles dites du ‘sud-ouest’ ou de les reprendre à un éventuel envahisseur étranger. Ce chapelet d’îlots s’étire de l’île d’Okinawa (extrême sud de l’Archipel nippon) quasiment jusqu’à Taïwan, à la limite de la mer de Chine orientale et de l’Océan Pacifique. Il comprend les îles Senkaku, un archipel inhabité administré par le Japon mais revendiqué avec force par la Chine sous le nom de Diaoyu, ainsi que par Taïwan. Pékin envoie régulièrement des navires gouvernementaux dans les eaux territoriales de ces îles stratégiques pour l’accès de la marine de guerre chinoise à la haute mer depuis que Tokyo en a nationalisé une partie en septembre 2012.

Renforcer les capacités militaires

La demande du ministère de la Défense pour l’exercice budgétaire prochain reflète la volonté du Premier ministre Shinzo Abe de renforcer les capacités de défense du Japon face à des menaces potentielles venant des pays voisins(3), au premier rang desquels la Chine. Hormis ce signal adressé à ses voisins, cette hausse s’inscrit dans un contexte où le Premier ministre japonais cherche à donner au Japon les moyens de ses ambitions militaires.

Ainsi il cherche à annuler l’interdiction qui pèse sur l’exercice de l’autodéfense collective par le Japon. Jusqu’à présent la politique de défense de l’Archipel nippon, en raison de la constitution pacifiste de 1946, l’empêche d’aider ses alliés, américains au premier rang, sauf si le Japon subit lui-même directement une attaque. Cette interdiction a entravé Tokyo pour tisser des liens plus étroits avec ses partenaires militaires. Par ailleurs, Abe souhaite réviser les lignes directrices de la défense établies en 2010 pour les adapter à l’évolution rapide du contexte stratégique.
Enfin, Tokyo a présenté début août son futur porte-hélicoptères de 248 mètres de long, l’Izumo, qui peut emporter jusqu’à 14 hélicoptères de lutte anti-sous-marine et dont la Chine ne craint qu’il puisse se transformer en porte-avions. Son entrée en service est prévue en 2015.

Mais l’élément central des demandes budgétaires du ministère de la Défense concerne les préparatifs pour créer la future force amphibie. Le ministère souhaite consacrer 1,3 milliard de yens dans ce but. Il prévoit notamment d’acheter deux véhicules blindés lourds amphibies de type AAV7 pour l’exercice 2014, en plus de quatre autres AAV7 qui seront achetés pendant l’exercice en cours. Le ministère a également demandé 100 millions de yens pour préparer l’introduction d’aéronefs à rotors basculants Boeing/Bell V-22 Osprey au cours de l’exercice budgétaire suivant en 2014-2015 pour appuyer des missions amphibies. Le déploiement des Osprey est également destiné à souligner l’alliance entre le Japon et les États-Unis, ces derniers déployant ce type d’engins.
Le ministère a également demandé 200 millions de yens pour faciliter l’introduction prévue de drones de surveillance américains Global Hawk au cours de l’exercice 2015. Le déploiement de drones est principalement destiné à la surveillance des activités nucléaires et balistiques de la Corée du Nord. Mais ils pourront probablement aussi être utilisés pour la surveillance des activités maritimes chinoises, en raison notamment de leur rayon d’action et de leur grande autonomie. De son côté, la Chine pourrait utiliser ses propres drones. Un drone non identifié s’est d’ailleurs approché lundi 9 septembre des Senkaku, provoquant l’envol de chasseurs nippons, a annoncé le ministère de la Défense japonais. Il a aussi l’intention d’étoffer la surveillance autour de l’archipel Nansei, qui se trouve entre le sud de l’île principale de Kyushu et Taïwan, en formant une unité aérienne avec des avions d’alerte avancée E-2C basés à Naha sur Okinawa.
Le ministère souhaite aussi disposer d’une batterie de systèmes de missiles antibalistiques sol-air PAC-3 situés en permanence à son siège de Tokyo(4). Ces systèmes ont été déployés lorsque la Corée du Nord a procédé à des essais de missiles balistiques.
Le ministère souhaite également affecter 24 milliards de yens pour des programmes liés à la cyberdéfense. Et 3,7 milliards de yens pour des études sur les technologies pour détecter et suivre les avions furtifs. La Chine développe au moins deux appareils de ce type.

De son côté, la Garde côtière japonaise a demandé une augmentation de 13 % de son budget, soit un total de 196 milliards de yens pour le prochain exercice, afin de renforcer sa capacité à contrer les navires du gouvernement chinois dans les eaux autour des îles Senkaku. Elle prévoit d’affecter 12,8 milliards de yens pour construire ou réparer des navires de patrouille, dont six navires de 1 000 tonnes.

Les limites de cette hausse

Bien que la liste d’achats d’équipements semble assez étendue, la majorité des fonds demandés vise à répondre à l’augmentation des coûts de personnel, à l’expiration attendue d’un gel pluriannuel des salaires des fonctionnaires. Ce gel a été mis en place pour dégager des fonds pour la reconstruction liée au tsunami et au tremblement de terre qui ont déclenché la crise nucléaire de Fukushima en 2011. Mais le nouveau budget ne donne pas réellement de nouvelles capacités et rares sont les achats conséquents pour l’exercice prochain. Ainsi, il ne s’agit pas d’acheter des drones Global Hawk et des Osprey mais de préparer leur introduction(5).
La demande accrue du ministère est également provoquée par les fluctuations de change, avec un yen plus faible qui accroît le prix des équipements militaires achetés à l’étranger.

Par ailleurs, si la hausse semble conséquente, il faut la comparer à celle du budget de la défense chinois. Alors que le budget japonais baissait de 2003 à 2012, celui de la Chine progressait de 175 % ! Et ce budget de 166 milliards de dollars en 2012 est plus de trois fois supérieur à celui du Japon.
La hausse elle-même est modeste au regard de celle du budget militaire chinois, 10,7 % en 2012-2013 ! Il reste cependant qu’il y a une « accélération » puisque le budget militaire japonais pour l’exercice en cours progresse de 0,8 %. Mais il demeure sous le plafond « traditionnel » qui fixe des dépenses militaires inférieures ou égales à 1 % du produit intérieur brut japonais.

Volonté d’apaisement et fermeté

Dans ce contexte, Abe affiche une volonté d’apaisement des tensions avec la Chine mais parallèlement une grande fermeté sur les Senkaku.
Le Premier ministre japonais a appelé le président chinois, Xi Jinping, à améliorer les relations bilatérales, lors d’une première rencontre entre les deux dirigeants en marge du sommet du G20 à Saint-Pétersbourg, a annoncé vendredi le gouvernement nippon(6).
« Le Premier ministre Abe a expliqué (à M. Xi) que nous devrions développer les relations nippo-chinoises en revenant aux relations stratégiques mutuellement bénéficiaires d’avant » la montée l’an passé des tensions autour d’îles disputées, a expliqué le porte-parole du gouvernement, Yoshihide Suga. « Il s’agissait de leur première entrevue directe depuis leur arrivée au pouvoir. Il s’agissait même de la première rencontre à ce niveau entre les deux puissances asiatiques depuis l’aggravation du différend insulaire en septembre dernier (…) Si le nationaliste Shinzo Abe a pris soin de garder une main tendue vers Pékin depuis son arrivée au pouvoir, en proposant plusieurs fois un sommet à la direction chinoise, il s’est montré intraitable sur la souveraineté des Senkaku » , souligne l’AFP.

Dans ce contexte tendu, un incident armé pourrait éclater entre les deux puissances craignent plusieurs experts. Le grand quotidien japonais de gauche, Asahi Shimbun , soulignait dans un éditorial ce risque : « Le gouvernement doit expliquer la stratégie et les rôles des forces d’autodéfense (l’armée japonaise) à la fois au Japon et à l’étranger. Si la politique de défense du Japon crée la méfiance chez ses voisins, l’environnement sécuritaire ne fera qu’empirer(7) » . Et d’appeler le ministère de la Défense japonais à adopter une approche moins traditionnelle des conflits entre pays, fondée sur les équipements lourds, pour se concentrer plus sur les cyber-attaques, susceptibles de « paralyser complètement » le pays.

Le niveau définitif du budget militaire sera fixé vers la fin de l’année, après des mois de négociations entre les organismes gouvernementaux. Si le ministère a réussi à obtenir le montant demandé, « le budget militaire du Japon atteindrait le niveau le plus élevé depuis 2003, après des années de restrictions en raison de l’austérité budgétaire » , rappelle le Wall Street Journal (8). Il sera donc dépendant de la croissance économique du pays. Or cette croissance est restée soutenue entre avril et juin, progressant de 0,9 % en rythme annuel, ce qui conforte la politique économique du gouvernement Abe. Mais l’endettement du pays reste élevé, ce qui limite les marges de manœuvre du pouvoir actuel.

(1) Kosuke Takahashi, « Japanese MoD requests largest increase in 22 years », IHS Jane’s defense industry, 29 août 2013
(2) « Le Japon envisage de créer une unité de protection d’îles disputées », AFP, 30 août 2013
(3) « Budget requests reflect Abe’s move to bolster defense capabilities », Asahi Shimbun, 31 août 2013
(4) « Japanese Defense Ministry seeks 3 % Budget hike eyeing Marines-like force, More US cooperation », Defense news, 30 août 2013
(5) Kirk Spitzer, « Why Japan’s biggest defense-spend hike in over two decades isn’t going to buy much », Time magazine, 2 septembre 2013
(6) Patrice Novotny, « Japon: Abe appelle à améliorer les relations avec la Chine lors d’une première rencontre avec Xi », AFP, 6 septembre 2013
(7) Editorial : Simply expanding defense equipment won’t bolster Japan’s security, Asahi Shimbun, 3 septembre 2013
(8) Yuka Hayashi, ‘Japan Defense Budget Seen Growing Amid Tensions’, The Wall Street Journal, 30 août 2013

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