ANALYSES

Les enjeux de la 125ème session du CIO : l’heure des choix

Tribune
6 septembre 2013
Si faire des pronostics ne relève ni de notre ressort, ni même de notre volonté, il est pourtant intéressant de se pencher sur cette 125ème session, non seulement pour les enjeux que chacune de ces élections représentent, mais aussi aller au-delà pour noter qu’à travers ce rendez-vous, le CIO doit faire un choix entre tradition et modernité.

Bataille diplomatique pour accueillir les Jeux 2020

Il est ici intéressant de revenir brièvement sur les trois villes candidates. Si la campagne aura été mouvementée (1), la dernière ligne droite ne semble pas non plus déroger à la règle. À quelques jours du scrutin final, les trois villes sont toujours au coude à coude.
Alors qu’Istanbul invite le CIO à l’audace en raison du caractère inédit de Jeux sur son territoire, de son multiculturalisme, du symbole qu’une désignation aurait pour la région, les manifestations de l’été (2) et leur gestion par le Premier ministre, Erdogan, la proximité de la frontière syrienne, les infrastructures sont autant de points négatifs qui viennent obscurcir la candidature turque.
Face à un budget conséquent (19,7 milliards d’euros pour Istanbul), Madrid fait figure d’outsider avec ses 3,10 milliards. Alors que la crise économique aurait pu être un frein pour Madrid, comme ça l’a été pour Rome qui a retiré sa candidature, la capitale espagnole cherche au contraire à s’en servir comme argument. À l’heure des restrictions budgétaires et d’une réduction des dépenses, la présentation d’un projet, peu onéreux basé sur des infrastructures en partie déjà construites (80%), apparait comme une politique responsable en ces temps de crise. Il a ainsi été intéressant de noter le regain d’intérêt pour le modèle de la candidature madrilène suite aux manifestations brésiliennes (3) qui dénonçaient les dépenses démesurées de l’Etat pour l’organisation d’un évènement sportif, au détriment de la population.
Face à ces deux candidats, Tokyo, quant à elle, veut incarner le modèle de stabilité à la fois politique et économique, cherchant ainsi à se démarquer de ses deux concurrentes. Cette attitude n’est pas sans rappeler celle adoptée par Nagoya lors de la campagne perdue en 1981 contre Séoul pour l’organisation des JO 1988. L’excès de confiance nippon et l’absence de soutien populaire avait eu raison de sa candidature. Il est donc intéressant de noter que le comité japonais a, pour cette élection, tiré les leçons du passé et mené une vaste campagne de mobilisation auprès de sa population afin de créer une véritable dynamique. La principale faiblesse de la capitale nippone reste toutefois les récentes fuites radioactives à Fukushima qui handicapent clairement sa candidature dans la dernière ligne droite.

Par ces quelques éléments, il est ici intéressant de voir les stratégies de communications mises en œuvre par les différents comités nationaux : symbolisme pour l’un, responsabilité pour le deuxième et stabilité pour le dernier. Toutefois, si chacune de ces villes multiplie les communiqués enthousiastes et confiants, aucune ne semble toutefois faire la course en tête, et il est évident que la désignation se jouera sur les tractations de dernière minute, ainsi que sur un possible calcul des représentants votants. De plus, les deux rapports de la commission d’évaluation publiés en mai 2012 (4) et juin 2013 (5) ne laissent pas apparaître une quelconque avance d’une des trois villes, laissant donc la campagne diplomatique et sportive se poursuivre.
La désignation des villes hôtes obéissant à une rotation géographique, on peut se demander si la candidature madrilène ne va pas perdre de son poids compte tenu d’un possible report de voix des représentants européens. Ceux-ci pourraient être tentés de laisser la voie libre pour une candidature de ville européenne en 2024 ou 2028, en dépit des déclarations qui ont pu être faites (6).
Entre stabilité, (r)évolution ou audace, les membres du CIO devront dans tous les cas prendre des risques, qu’ils soient politiques, économiques ou écologiques.

Quel président pour le CIO ?

Nous l’avons vu, la 125ème session sera aussi l’occasion pour les membres de désigner celui qui dirigera l’organisation sportive pendant 8 ans. Comme pour la désignation de la ville hôte, le CIO devra faire un choix entre la continuité ou au contraire faire preuve d’innovation. Malgré quelques tergiversations, ce sont finalement six candidats qui s’affronteront pour remplacer Jacques Rogge : Richard Carrion (Porto Rico), Sergeï Bubka (Ukraine), Ng Ser Miang (Singapour), Thomas Bach (Allemagne), C.K.Wu (Taïwan), Denis Oswald (Suisse). Alors que 7 des 8 présidents depuis la création du CIO étaient européens (7), de nombreuses voix s’élèvent pour attribuer la présidence à un autre continent, afin de rendre l’organisation véritablement internationale. Bien que l’allemand Thomas Bach (8) semble réunir un grand nombre de suffrage, tout comme l’ancien perchiste Sergeï Bubka (9), le singapourien Ng Ser Miang (10) ou le taïwanais C.K Wu (11) pourraient créer la surprise en raison de leurs excellentes communications et de leur influence au sein du Comité.
Cette élection se reposera donc sur plusieurs éléments : d’une part la personnalité des candidats, d’autre part le programme et enfin leur soutien. Il est ainsi intéressant de noter les différentes prises de position des prétendants. Tandis que Thomas Bach fait le pari de la jeunesse, C.K WU souhaite, quant à lui, renforcer la place de l’Afrique dans l’aventure olympique et redorer à l’organisation internationale une place de choix dans la lutte pour l’intégrité. Dans le même temps, Ng Ser Miang milite pour des Jeux plus responsables économiquement, trouvant ainsi un écho avec non seulement les manifestations brésiliennes de l’été dernier dénonçant le tonneau des Danaïdes que représentent l’organisation de tels évènements et les scandales de corruption pour Sotchi 2014. Comme pour l’élection de Jacques Rogge face à Dick Pound en 2001, on peut imaginer des tractations et des compromis pour laisser la voie libre à un candidat en échange de la présidence d’un autre organisme. Rappelons que le canadien, arrivé 3ème position, obtint, dans un échange de bon procédé, le poste de président de l’AMA qu’il occupa jusqu’en 2007.

Un 26ème sport pas si anecdotique

Alors que la désignation de la ville hôte et l’élection du futur président du CIO retiennent l’attention, on aura tort d’oublier le troisième vote soumis aux membres du comité ce dimanche.
En effet, les membres du CIO devront se prononcer sur le programme olympique des JO de 2020 et 2024 en déterminant quel 26ème sport va rejoindre les 25 déjà présents. A la surprise générale, la lutte a été retirée en février 2013 des sports admis pour être placé sur « liste d’attente », aux côtés du Karaté, de l’escalade, du wushu, du wakeboard, du roller, du baseball et enfin du squash. Finalement short-listée aux côtés des deux derniers sports présentés, la fédération de lutte a dû savoir se renouveler pour accéder à cette dernière liste. Refonte des règles, nouvelles arrivées à la tête de la fédération, avancée en matière de dopage : tous les arguments ont été avancées pour montrer aux membres du CIO la modernité de ce sport pourtant ancestral. Il est aussi intéressant de noter la mobilisation d’un grand nombre de pays et de comités nationaux pour défendre la réintégration de ce sport historique parmi le programme olympique. Si la lutte est finalement maintenue, cela aurait été au prix d’un fort lobbying diplomatique de pays comme la Russie, les Etats-Unis, la Bulgarie ou encore la Turquie (12).
Si ce vote peut sembler anecdotique face aux deux autres échéances du week-end, une discipline qui fait partie du patrimoine historique olympique est aujourd’hui menacée.

Au regard des enjeux liés à ces trois votes, il faut lire cette 125ème session comme une échéance capitale pour l’Olympisme. L’heure des choix a sonné pour le CIO. L’ensemble de ces élections pose la question de l’évolution de l’organisation vers des choix inédits et symboliques ou au contraire s’inscrivant dans la continuité. Cette 125ème session ne peut se résumer à une réunion de sportifs, elle constitue au contraire une occasion pour le CIO de s’inscrire dans une nouvelle ère. Au-delà de l’ensemble de ces élections, ces trois élections devront s’inscrire dans une logique à court, moyen mais surtout long terme afin de contribuer, chacun à leur niveau à redonner une image positive du CIO et de l’olympisme. En effet, les scandales de corruption des membres à Salt Lake City, la polémique des jeux de Pékin, les scandales de corruption et les menaces de boycott à Sotchi, les manifestations hostiles au CIO au Brésil ainsi que les affaires de triche et de dopage ont contribué à égratigner une image du CIO qui avait déjà perdu de son crédit et de sa blanche réputation. Plus qu’une session, ce rendez-vous portègne constitue une étape décisive pour le futur de l’Olympisme.
(1) « Les enjeux de la désignation de la ville hôte des Jeux Olympiques 2020 », IRIS, 3 juillet 2013, http://www.iris-france.org/analyse/obs-geostrategique-sport-affichage-article.php?numero=7
(2) « Manifestations en Turquie : quelles revendications, quelles conséquences ? », Didier Billion, IRIS, Juin 2013, http://www.iris-france.org/docs/kfm_docs/docs/observatoire-turquie/03-06-2103-entretien-manif-turquie-intrieur.pdf
(3) « Sport, enjeu stratégique sociétal et international », IRIS, 28 juin 2013, http://www.iris-france.org/analyse/obs-geostrategique-sport-affichage-article.php?numero=2
(4) Rapport du groupe de travail 2020, 24 mai 2012, http://www.olympic.org/Documents/Host_city_elections/Final-report-2020-Working-Group-French.pdf
(5) Rapport de la commission d’évaluation 2020 du CIO, 25 juin 2013, http://www.olympic.org/Documents/Host_city_elections/2020_Rapport_Commission_Evaluation.pdf
(6) « Les Français n’ont pas de consigne de vote», Francs Jeux, 04/09/2013, http://www.francsjeux.com/2013/09/04/les-francais-nont-pas-de-consigne-de-vote/5151
(7) Demetrius Vikelas (1894-1896), Pierre de Coubertin (1896-1925), Henri de Baillet-Latour (1925-1946), Sigfrid Edström (1946-1952), Avery Brundage (1952-1972), Lord Killanin (1972-1980), Juan Antonio Samaranch (1980-2001), Jacques Rogge (2001-2013)
(8) Ancien champion olympique de fleuret allemand, cet avocat est membre de la commission des athlètes du CIO depuis 1981 et vice-président du CIO depuis 2000. Il est de plus Président de la Chambre d’appel du Tribunal arbitral du sport et est fondateur et président du Comité olympique allemand.
(9) Ancien perchiste ukrainien, Sergeï Bubka est membre du CIO depuis 1999. Il a été Président de la commission des athlètes jusqu’en 2008 et est actuellement Président du comité olympique ukrainien et vice-président de la Fédération internationale d’athlétisme.
(10) Singapourien, il est membre du CIO depuis 1998 et vice-président depuis 2009.
(11) Taïwanais, il est membre du CIO depuis 1988 et Président de l’Association internationale de boxe amateur.
(12) « La lutte pour sauver la lutte a commencé », France Info, http://www.francetvinfo.fr/sports/jeux-olympiques-la-lutte-pour-sauver-la-lutte-a-commence_250651.html