ANALYSES

Sotchi 2014 et la question du boycott

Tribune
19 août 2013
Cette campagne n’est pas sans rappeler les mois précédents les JO de Pékin 2008, pendant lesquels de nombreux représentants des sociétés civiles, relayés par des personnalités politiques du monde entier, appelaient au boycott afin que l’événement sportif ne soit pas instrumentalisé par le régime chinois, autoritaire et non démocratique. Pourtant, organiser un boycott est aussi une forme d’instrumentalisation de l’événement sportif. Le boycott est une arme politique (parmi d’autres) qui a déjà été utilisée par un État ou un groupe d’États. Notons par exemple que l’URSS avait boycotté les Jeux jusqu’en 1952 car les Soviétiques ne voulaient participer à une « pratique bourgeoise »(4). En 1976, 25 pays africains refusent de se rendre aux Jeux de Montréal pour protester contre la présence de la Nouvelle-Zélande, dont l’équipe de rugby avait réalisé une tournée controversée dans l’Afrique du Sud ségrégationniste quelques semaines plus tôt. Ici, le boycott est autant une mesure de rétorsion qu’un message politique.

Lorsque l’URSS envahit brutalement l’Afghanistan la veille de Noël 1979, le président américain Jimmy Carter est mis sous pression. Au niveau interne, sa campagne de réélection débute alors, et au niveau international, les avancées de l’URSS depuis 1975 menacent l’équilibre de la Guerre froide. En mettant un pied dans un pays stratégique, l’URSS force le président américain à agir. Plusieurs mesures de rétorsion seront entreprises, dont le boycott des Jeux de Moscou, à l’été 1980. Le boycott et les autres sanctions sont une façon de forcer le régime soviétique à revenir sur ses actes. L’entreprise échouera puisque l’URSS restera en Afghanistan jusqu’en 1989. De plus, la campagne de boycott américain s’avèrera plus compliquée qu’escompté, l’administration Carter ayant sous-évalué l’indépendance politique du monde olympique. En effet, les Comités nationaux olympiques sont tenus par le CIO de ne pas obéir aux injonctions politiques(5). Finalement, de nombreuses délégations du bloc occidental, dont le Royaume-Uni, la France, l’Italie ou l’Australie, se rendront à Moscou, malgré les efforts de dissuasions américains. Quant au boycott des JO de Los Angeles de 1984 par de nombreux pays du bloc communiste, il n’est rien d’autre qu’une réponse à celui de 1980.

Aujourd’hui, la question du boycott se pose de manière différente. Certes, plus la compétition sportive est populaire et établie, plus le message et l’arme du boycott apparaissent efficaces. Néanmoins, devant l’universalisation des grandes compétitions sportives et leurs enjeux économiques et politiques colossaux, la possibilité pour un gouvernement d’empêcher ses athlètes de concourir est devenue extrêmement difficile. Contraindre des athlètes à rater l’événement de leur vie, au nom de la protection des droits de l’homme, peut même paraître contradictoire. C’est aussi pourquoi J. Carter n’a réussi que difficilement à forcer la délégation sportive nationale à refuser d’aller en URSS, et que M.L. Thatcher, elle, n’y est pas parvenue.

Si l’on peut désormais écarter les grands boycotts de la part des sportifs, la question se recentre autour des personnalités politiques qui choisissent de ne pas se rendre aux représentations comme les cérémonies d’ouverture. Ainsi, de nombreux hommes et femmes politiques ont refusé de se rendre à l’Euro 2012 pour afficher leur désaccord vis-à-vis du gouvernement et du système judiciaire ukrainien. Cette pratique peut néanmoins se heurter aux intérêts étatiques. En effet, malgré certaines tensions avec le pays hôte et les nombreux appels au boycott, les principaux chefs d’États « occidentaux » étaient présents pour l’ouverture des Jeux de Pékin en 2008. Les dégâts potentiels d’une politique de la chaise vide sont trop importants au regard des intérêts économiques et politiques à préserver, surtout en ce qui concerne les grandes puissances comme la Chine ou la Russie.

C’est pourquoi un boycott d’envergure des Jeux de Sotchi est a priori à écarter, même si la question va revenir sur le devant de la scène d’ici février. Des personnalités politiques, au gré de leurs intérêts personnels liés à leur image, vont s’afficher comme des partisans au boycott, mais on peut douter qu’un boycott d’État(s) ne voie le jour.

L’expérience chinoise a montré que les Jeux ne servent pas automatiquement de catalyseur de réformes de fond dans un régime autoritaire, au contraire des arguments du CIO qui, face aux critiques, avait défendu le choix de Pékin en affirmant que les Jeux allaient contribuer à l’ouverture du régime. Cinq ans après JO chinois, il est difficile d’approuver l’argument du mouvement olympique. Il devrait en être de même pour la Russie. À l’inverse, l’utilisation dans l’histoire du boycott comme arme politique n’a jamais montré son efficacité, aucune des tentatives n’ayant concrètement débouché sur une inflexion du pays hôte.

(1) « Graham: US should consider Olympic boycott over possible Snowden asylum », NBC news, 17 juillet 2013.
(2) « Propagande gay: une ministre allemande suggère de boycotter les JO de Sotchi RIA Novosti », 6 aout 2013.
(3) -« JO de Sotchi: remise d’une pétition au CIO contre la loi antigay russe, BFMTV », 7 aout 2013.
(4) Pascal Boniface, JO Politiques, Paris, Jean-Claude Gawsewitch, 2012, p. 87.
(5) Selon l’article 27.6 de la Charte olympique : « Les CNO doivent préserver leur autonomie et résister à toutes les pressions, y compris, mais sans s’y restreindre, les pressions politiques, juridiques, religieuses ou économiques qui pourraient les empêcher de se conformer à la Charte olympique ».