ANALYSES

Coup d’Etat en Egypte : nouvelle séquence du processus révolutionnaire

Tribune
8 juillet 2013
Il est, de ce point de vue, regrettable que de nombreux responsables politiques de haut niveau à travers le monde – aux Etats-Unis et au sein de l’Union européenne notamment – utilisent des formules ambiguës et se refusent à utiliser cette qualification. La question n’est pas de justifier le bilan d’un an de pouvoir exercé par les Frères musulmans – il est très mauvais – mais de réaffirmer les principes démocratiques qui sont sans cesse énoncés pas les dirigeants de ces mêmes pays. Le refus de ces derniers de qualifier de coup d’Etat la prise de pouvoir par les militaires, signifie-t-il que les principes démocratiques ne s’appliquent plus dès lors qu’il concerne les forces se réclamant de l’islam politique ? Il faut pourtant comprendre que la décision de l’institution militaire égyptienne dévalorise l’idée même des principes démocratiques, alors qu’elle est un des enjeux essentiels des processus de transition dans plusieurs pays arabes. Avant de tenter de discerner les scénarios d’avenir il est nécessaire de saisir pourquoi l’Egypte en est arrivée à une telle situation. Les événements de ces derniers jours ne peuvent, en effet, se comprendre que par la réelle dégradation de la situation économique et politique.


Au niveau économique, tout d’abord. Les résultats sont catastrophiques et tous les indicateurs macro-économiques sont au rouge : augmentation du taux de chômage (13 %), de l’inflation (12 %), taux de croissance qui ralentit à 1,5 %, déficit budgétaire proche de 12 % du PIB, réserves de devises chutant de 36 à 13 milliards de dollars en deux ans. Les Frères musulmans, s’affirmant comme des partisans résolus du libéralisme économique, n’ont pas su répondre aux défis économiques et sociaux. Héritant d’une situation déjà extrêmement dégradée lors de leur accession au pouvoir, ils n’ont pas réussi à démontrer leur efficacité. Il est en tout cas certain que leur politique a produit un fort mécontentement, notamment parmi les catégories sociales les plus défavorisées, qui vivent au quotidien les coupures d’électricité, les difficultés à trouver de l’essence pour les véhicules, la dégradation des systèmes de santé et d’éducation. Faisant preuve d’un manque de professionnalisme dans leurs difficiles contacts avec le Fonds monétaire international (FMI), les Frères musulmans étaient, de plus, tétanisés, comprenant confusément qu’accepter de mettre en œuvre les mesures d’austérité exigées par le FMI irait à l’encontre de l’intérêt des classes populaires, ce qui ne manquerait pas d’entraîner en retour de nouveaux mouvements de contestation à leur égard.

Au niveau politique, ensuite. La propension des Frères musulmans à placer leurs hommes à tous les postes de responsabilités de l’appareil d’Etat et leur difficulté à comprendre que leur victoire lors des consultations électorales ne leur permettaient pas pour autant de nier les droits et les compétences de la minorité, ont développé au sein d’une partie de la population la crainte de voir se reconstituer une forme de monopole du pouvoir, ce que les citoyens égyptiens refusent catégoriquement depuis qu’ils ont chassé Hosni Moubarak, en février 2011. Des erreurs politiques, comme la nomination au poste de gouverneur de la province de Louxor d’un ancien responsable djihadiste des Gama’a al-Islamiya, responsable de l’assassinat de 58 touristes en 1997, n’ont fait qu’amplifier cette vive inquiétude.

C’est dans ce contexte que des manifestations d’une ampleur exceptionnelle, regroupant plusieurs millions de personnes, ont été organisées à travers toute l’Egypte le 30 juin. L’institution militaire, comprenant le caractère potentiellement incontrôlable de la situation, décidait alors d’utiliser ces rassemblements pour faire pression sur le gouvernement et sur Mohamed Morsi afin d’obtenir un compromis et pour stopper les glissements autoritaires des Frères musulmans. Ces derniers, se prévalant de leur légitimité électorale, ont refusé de céder aux exigences de l’armée – alors qu’ils avaient pourtant accepté de faire de nombreux compromis depuis leur accession au pouvoir au cours de l’été 2012 – ce qui a entraîné leur chute, au moins temporaire…

L’attitude de l’institution militaire s’explique fondamentalement par sa place au sein de la société égyptienne. En effet, son insertion structurelle au sein de l’économie du pays et sa préoccupation permanente de faire fructifier ses profits plutôt que de s’occuper de ce qui est sa fonction principale, c’est-à-dire la défense de la patrie, lui fait craindre plus que tout la contestation sociale. Or, l’ampleur du mouvement de protestation lui a fait craindre que ce dernier devienne incontrôlable, ce qui serait devenu antinomique à ses intérêts financiers, d’où sa décision de procéder à un coup d’Etat.

Il y a pour le moins un paradoxe de voir ceux que l’on appelle les « révolutionnaires », qui, il y a un an, sommaient les militaires de rendre le pouvoir aux civils acclamer aujourd’hui le retour des mêmes militaires sur le devant de la scène politique. Ces revirements sont l’expression des avancées de la crise révolutionnaire et de la difficulté pour les militants les plus engagés à élaborer une alternative politique. Pour autant l’institution militaire ne restera probablement pas longtemps au pouvoir, car elle risquerait de s’exposer à son tour à la profonde contestation sociale qui sourd du pays.

De nouvelles élections vont être organisées. Elles doivent être libres et permettre à tous les partis, sans exception, d’y participer. Les Frères musulmans restant à ce jour la principale force politique civile organisée, ils demeurent en situation de faire à nouveau un bon score, car ils conservent une large base sociale et électorale. Le défi réside alors pour les diverses composantes de l’opposition – libéraux, laïques, sociaux démocrates, nassériens de gauche…- d’être capables de se rassembler, d’élaborer une plate-forme unitaire, de présenter des candidats communs. Ce sont les conditions nécessaires pour espèrer contrebalancer les Frères musulmans et équilibrer les rapports de force de façon démocratique et sans recourir à l’armée. Dans la nouvelle séquence qui s’ouvre, faire confiance à l’institution militaire et s’en remettre à elle pour réaliser la transition démocratique est une illusion mortelle pour ces révolutionnaires.

On le voit, le processus révolutionnaire en Egypte est loin d’être achevé et d’autres rebondissements sont à prévoir.
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