ANALYSES

Canada : l’aubaine terroriste

Tribune
29 avril 2013
Par Charles Thibout, ancien assistant de recherche à l’IRIS
Un mouvement disparate de défenseurs des droits de l’homme s’était formé à l’origine pour dénoncer les infractions que ce projet de loi, s’il était adopté, commettrait envers la constitution et la Charte des Droits. Ainsi des universitaires (ACPPU), différentes ligues de défense des droits de l’homme (BCCLA, ACLC, CSILC) et le Conseil canadien des relations américano-islamiques (CAIR-CAN) – pour ne citer que ceux-ci – ont dénoncé l’inanité d’une telle loi, et, davantage même, les contrevenances qu’elle génèrerait à l’égard des droits fondamentaux des personnes suspectées d’être liées, de près ou de loin, à des activités terroristes. Surtout, ces organisations ont mis en lumière les déviances auxquelles cette loi pourrait conduire en détournant les moyens coercitifs, dont elle dote l’exécutif, à des fins politiques.

Le Code criminel actuellement en vigueur pourvoie d’ores-et-déjà les pouvoirs publics d’un arsenal juridique efficace qui, de surcroît, a fait ses preuves en déjouant tous les attentats terroristes depuis 2001. En adoptant cette loi, le gouvernement Harper a joué la carte de l’opportunisme dans un contexte tendu, ce qui lui a permis de passer outre des normes juridiques de base telles que la présomption d’innocence ou le droit à un procès équitable et transparent. En effet, le projet de loi S-7 permet aux autorités d’arrêter un individu et de le placer en détention durant trois jours sans inculpation. Il en ressort que ledit individu sera dépossédé des droits afférents normalement à tout accusé : il lui sera ainsi impossible de connaître et, par conséquent, de récuser les preuves qui l’accablent. Obligation lui sera faite, par ailleurs, de témoigner en secret devant un juge qui, en cas de refus du suspect, pourra le faire incarcérer jusqu’à douze mois.

Les différentes organisations de lutte pour la défense des droits de l’homme ont également rappelé au gouvernement que les dispositions prises entre 2001 et 2007, sur les arrestations préventives et les investigations judiciaires, ont toujours été détournées de leurs fins initiales. On peut craindre à juste titre que ces mesures, relativement floues quant à la définition qu’elles donnent d’une activité terroriste et de la complicité à une telle activité, puissent rendre équivoque la frontière si mouvante, selon le point de vue adopté, entre résistance et terrorisme. Ainsi, des individus exerçant des activités licites, telles que la dissidence politique, pourraient, au regard de ces nouvelles dispositions, être arrêtés et contraints à témoigner.

Au final, cette nouvelle loi antiterroriste risque d’ouvrir la voie à des dérives politiques, comme la surveillance, la mise sur écoute, le pistage d’individus que l’on qualifie « sujets d’intérêt » à partir de critères religieux, politiques ou idéologiques. Elle va aussi accroître la zone d’ombre qui entoure les traitements dispensés par les autorités canadiennes à l’endroit des présumés « terroristes ». Aujourd’hui, le Canada, par le biais du Canadian Security Intelligence Service (CSIS), est soupçonné d’avoir participé à des actes de torture sur des personnes suspectées de projeter des attentats terroristes, telles que Abousfian Abdelrazik. Le cas de cet homme, qui a par ailleurs été blanchi, soulève de nombreuses questions sur le rôle joué par le Canada dans la détention et la torture de Canadiens à l’étranger. Il en soulève d’autres concernant les limites que daignera poser le gouvernement canadien à l’arbitraire de sa politique sécuritaire. Quand survient l’aubaine du terrorisme, hobbesianisme et libéralisme marchent de pair.
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