ANALYSES

Le nucléaire iranien : « On a gagné ? »

Tribune
8 février 2013
Il est vrai que les sanctions votées par les Etats-Unis en juillet 2011 et l’embargo décidé par l’Union européenne en septembre 2011 ont eu un impact négatif très net sur l’économie iranienne. D’après l’OPEP, la production pétrolière de l’Iran aurait atteint 2,6 millions barils par jour en décembre 2012. Ceci signifie que la production pétrolière de l’Iran qui atteignait 3,6 millions barils par jour en 2011 a reculé de près de 1 million de barils par jour. Si l’on considère que l’Iran utilise près de 1,5 million barils par jour pour sa consommation interne, ceci signifie que les exportations pétrolières de l’Iran auraient reculé de 2,1 millions barils par jour en 2011 à 1,1 millions fin 2012, soit une baisse de près de 50 %. Les exportations de pétrole représentant 80 % des exportations et 60 % des recettes budgétaires, le choc est donc sévère pour l’économie iranienne. Evidemment, ces difficultés se sont traduites par une pénurie de devises qui ont entraîné un effondrement de la monnaie iranienne. Sur le marché noir, le dollar est passé de 10 500 rials fin septembre 2011 à près de 30 000 rials début 2013 !

Ces difficultés se sont également traduites par un recul des importations qui, selon les douanes iraniennes, ont reculé de 12,5 % en valeur les 10 premiers mois de 2012 par rapport à la période précédente. Par ailleurs, du fait des mêmes sanctions, les exportations de produits pétrochimiques ont très fortement reculé. Un autre élément révélateur est l’explosion du nombre de chèques sans provisions qui sont passés de près de 17 000 par jour en 2011 à 70 000 par jour en 2012, ce qui traduit d’énormes problèmes, notamment pour le secteur privé iranien. Par ailleurs, l’inflation, selon la banque centrale d’Iran, a atteint 28,1 % en septembre 2012, contre 22 % en septembre 2011 et 10 % en septembre 2010. Par groupes de produits, la hausse des prix atteignait 38,7 % en septembre 2012 pour les produits alimentaires. L’Iran est donc proche d’une situation d’hyperinflation. Ces difficultés économiques pourraient expliquer la hausse de la petite criminalité. Récemment, fin 2012, suite à la condamnation à mort de jeunes accusés de meurtres suites à une tentative de vol, le chef de la justice a déclaré que la situation économique difficile ne pouvait en rien être considérée comme une excuse par certains pour commettre des méfaits. Les journaux iraniens publient également des articles donnant des recettes pour trouver le bonheur dans une situation économique difficile …

Néanmoins, il ne faut pas commettre l’erreur de croire que l’économie iranienne va s’effondrer. En clair, l’économie « plie » mais ne rompt pas. Les réserves en devises restent conséquentes et pourraient être proches de 70-80 milliards de dollars selon le FMI. Par ailleurs, l’Iran a commencé à se faire payer son pétrole en or ou yuan (ce qui l’oblige dans ce cas à utiliser la monnaie chinoise pour acheter des produits chinois). Mais surtout, on oublie souvent que l’Iran a fortement augmenté ses exportations non pétrolières ces dernières années. Selon les douanes iraniennes, les exportations non pétrolières de l’Iran ont atteint 34,4 milliards de dollars sur les 10 premiers mois de 2012, soit une quasi stabilisation par rapport au dix premiers mois de 2011, avec une baisse de 2,5 % en valeur. La hausse de 30 % des exportations de produits industriels et miniers a en fait très largement compensé le recul des exportations en pétrochimie. Les principaux marchés iraniens sont l’Irak (4,5 milliards), la Chine (3,9 milliards), les Emirats Arabes Unis (3,4 milliards), l’Afghanistan (2,8 milliards) et l’Inde (2 milliards). L’avantage de la plupart de ces exportations est qu’elles peuvent être réglées en cash car elles concernent pour la plupart des pays voisins. De ce fait, même si les exportations pétrolières sont réduites de 50 % et atteignent près de 50 milliards de dollars, les exportations non pétrolières de l’Iran pourraient atteindre 40 milliards en 2012. Ceci signifie que l’Iran aura largement assez de devises en 2013 pour importer les produits le plus importants pour son économie.

Il est donc faux de considérer que du fait des risques d’effondrement de leur économie, les dirigeants iraniens vont abandonner leur programme nucléaire. Les demandes de l’Iran restent les mêmes : ils réclament la reconnaissance de leur droit à l’enrichissement de l’uranium. On est donc loin du constat : « Les sanctions marchent ». Ceci ne signifie pas que les dirigeants iraniens ne souhaitent pas à travers les futures négociations sur le nucléaire obtenir une levée des sanctions. Mais est-on sûr que l’existence de ces sanctions va permettre d’obtenir en échange beaucoup plus que ce qu’il aurait été possible de négocier en leur absence ? Les expériences des négociations passées avec l’Iran où l’exigence de la part des dirigeants d’une levée préalable des sanctions pour négocier a été révélatrice du fait que l’existence de ces sanctions ne favorise pas forcément ces négociations. En outre, on sait bien à quel point ces sanctions pèsent sur la société civile iranienne, en conduisant notamment à des situations de pénuries de médicaments. Par ailleurs, elles renforcent le poids relatif des entités les plus fidèles du régime comme les Pasdarans et les Fondations religieuses qui contrôlent les circuits d’importations de contrebande et des entreprises qui profitent très largement de l’affaiblissement du secteur privé iranien pour prendre des parts de marché.

Mais surtout, ce n’est pas la question des sanctions qui semble faire évoluer ce dossier, c’est essentiellement le brusque changement d’attitude des Etats-Unis qui ont très clairement exprimé leur volonté de négocier directement avec l’Iran (qui au moment de la rédaction de cet article a plutôt opposé une fin de non-recevoir par l’intermédiaire du Guide Ali Khamenei). Ces éléments confirment que ce n’était pas vraiment la question du nucléaire iranien qui était en jeu mais plutôt celle des relations entre les Etats-Unis (et Israël) et l’Iran. Est-ce que la gestion du dossier du nucléaire iranien n’était pas un moyen pour les Etats-Unis de faire pression sur l’Iran, poursuivant ainsi l’affrontement amorcé depuis l’affaire des otages américains en 1980 ? Ceci repose à mon avis la question de la stratégie européenne vis-à-vis de l’Iran. Si l’issue finale de cette crise repose sur une reprise des relations entre l’Iran et les Etats-Unis, l’UE est-elle destinée à rester spectatrice en attendant la fin de cette crise ? Et surtout, l’UE a-t-elle véritablement défendu ses intérêts en suivant de manière quasi aveugle la politique de sanctions prônée par le gouvernement américain ?
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