ANALYSES

Budget militaire, Constitution, Senkaku : Shinzo Abe plus déterminé qu’apaisant

Tribune
7 février 2013
Un budget militaire qui repart à la hausse après onze ans de baisse

Sous l’impulsion du Premier ministre, Shinzo Abe, le budget de la défense japonaise va repartir à la hausse sur l’exercice fiscal 2013(1). Selon le quotidien japonais Yomiuri Shimbun (2), le budget sera fixé à 4,75 milliards de yens, en hausse de 40 milliards sur le budget initial de l’exercice 2012. Les forces d’autodéfense verront leurs effectifs croître de 287 militaires, la première augmentation des effectifs dépassant 200 en 20 ans. En outre, la Garde côtière japonaise (JCG) recevra les 176,5 milliards de yens qu’elle avait demandés pour l’exercice 2013, indique le quotidien conservateur.
Les fonds seront destinés pour les JCG à l’achat de 20 bateaux de patrouille et 13 avions pour défendre les eaux territoriales et l’espace aérien. Les fonds supplémentaires pour les JCG s’élèveront à 36,4 milliards de yens, 40 % de plus que le budget de l’exercice 2012.

Une volonté de réformer la constitution japonaise et la débarrasser en partie de ses oripeaux pacifistes

Ce renforcement des équipements militaires doit s’accompagner d’une plus grande marge de manœuvre de l’armée japonaise. Aussi, Shinzo Abe veut-il procéder à une révision de la Constitution pacifiste. Il l’a annoncé jeudi 31 janvier (3). « Avant même son arrivée au pouvoir fin décembre, Shinzo Abe avait déjà une solide réputation de ‘faucon’ en politique étrangère. Mais il avait semblé tempérer ses ardeurs nationalistes, toujours mal perçues dans une région où les contentieux de l’Histoire ne sont toujours pas soldés, pour se concentrer sur la relance économique d’un Japon en berne. Avec en ligne de mire, sans toutefois le nommer ouvertement, l’article 9 qui consacre le pacifisme d’après-guerre du Japon vaincu et la renonciation ‘à jamais’ à la guerre.
Il a dit souhaiter modifier l’article 96 qui régit tout amendement de la Charte rédigée par l’occupant américain et entrée en vigueur début 1947
».

L’objectif est aussi que « cette armée de 240 000 hommes, l’une des mieux équipées du monde, connue sous le nom de « forces d’auto-défense » puisse enfin participer à des opérations de sécurité collective aux côtés des Etats-Unis qui, depuis leur retrait d’Irak et bientôt d’Afghanistan, sont en train de renforcer leur présence militaire dans une région d’Asie-Pacifique considérée comme d’un intérêt économique et stratégique vital pour les Etats-Unis (4) » .

Le résultat final n’est pas évident dans un pays en plus attaché profondément au pacifisme de sa Constitution et dans un contexte tendu avec ses voisins chinois et coréens qui considèrent ce changement comme une provocation (5).

La procédure de réforme constitutionnelle est difficile. « L’article 96 est très contraignant : il stipule que les amendements doivent être introduits à l’initiative de la Diète (le parlement bicaméral) par vote des deux tiers au moins de tous les membres de chaque chambre. Si, avec son allié du Nouveau Komeito, le PLD au pouvoir (Parti Libéral-Démocrate) domine très largement la chambre basse, ce n’est pas le cas au Sénat où des élections sont prévues cet été. Les amendements doivent ensuite être approuvés soit par référendum avec une majorité de tous les suffrages exprimés, soit parallèlement à des élections. Là encore, rien ne garantit un ‘oui’ d’une population globalement attachée au ‘pacifisme constitutionnel’ selon des sondages », souligne le correspondant de l’AFP à Tokyo. « Quel que soit le résultat final, le symbole est fort, surtout au moment où les relations avec Pékin sont au plus bas et où la Chine n’hésite pas à invoquer l’Histoire et le passé militaro-fasciste du Japon. Shinzo Abe a en tout cas de la suite dans les idées : lors d’un premier passage à la primature, c’est lui qui avait fait adopter en mai 2007 une loi pour permettre un référendum national sur une révision de la constitution. C’est également à son initiative que l »Agence de défense’ est devenue ‘Ministère de la défense’. Cette fois il a promis de renommer les ‘Forces d’auto-défense’ en ‘armée nationale’ » .

Fermeté sur la question des Senkaku/ Diaoyu même si (légère) volonté d’apaisement

Afin de faire face aux incursions chinoises répétées, le Japon a décidé de réorganiser et d’accroitre la défense des îles. Des intrusions aériennes ont désormais lieu.

Ainsi, le 13 décembre dernier, jour anniversaire des 75 ans du massacre de Nankin, un bimoteur chinois Harbin Y-12, a pénétré dans l’espace aérien japonais près des îles. Le Japon a dépêché sur place 8 F-15 afin de détourner l’intrus. De son côté, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Hong Lei, a déclaré que « Le survol des îles Diaoyu par des avions de surveillance maritime chinois est parfaitement normal (6) », « La Chine demande au Japon d’arrêter ses activités illégales dans les eaux et l’espace aérien des îles Diaoyu » estimant que les îles Diaoyu « font partie intégrante de la Chine depuis des temps anciens » . Depuis, sept autres intrusions ont eu lieu, poussant le Japon à étudier la possibilité d’un tir de semonce (7) ce qui provoquerait une riposte chinoise. La difficulté pour le Japon consiste à détecter les éventuelles menaces le plus tôt possible alors que les radars basés à 200km des Senkaku, ne peuvent détecter des appareils évoluant à basse altitude. C’est ainsi que le 15 janvier 2013, un bimoteur chinois, n’a pu être détecté qu’à 120km des Senkaku, à 20 minutes de vol de l’espace aérien japonais. Afin de pallier cette faille, le Japon a décidé d’envoyer 4 avions AWACS sur la base de Naha et 13 Hawkeye à Miyakojima, soit 17 appareils, pour assurer une veille permanente autour des Senkaku.

Si les incursions aériennes représentent un degré supplémentaire dans les tensions pour la souveraineté des îles, les incursions navales se poursuivent également. Durant les quatre derniers mois, 21 intrusions de navires chinois ont été décomptées (8). A chaque fois, les Garde-côtes japonaises sont intervenus. Une des missions de la garde-côtière est la police de la navigation. Les Garde-côtes japonaises disposent d’une flotte très importante, avec 55 navires de plus de 1 000 tonnes (9). Ils sont une force paramilitaire. Mais bien qu’armés, les bâtiments ne sont pas considérés comme navires de guerre et arborent seulement le pavillon national (disque rouge sur fond blanc). En temps de paix, ils dépendent du ministère des Transports mais en temps de guerre ils relèveraient de la Marine de guerre (10). Le budget qui leur est alloué avait déjà été renforcé en octobre par le précédent Premier Ministre, Yoshihiko Noda, avec le déblocage anticipé de 17 milliards de Yen inscrits pour l’année fiscale 2013 et destiné à les doter de patrouilleurs lourds et de 3 hélicoptères (11). En effet, les navires en service sont souvent trop lents, trop vieux, ce qui ne leur permet pas de lutter efficacement contre les intrusions (12). Afin de protéger davantage les Senkaku, Tokyo a créé une unité spécifique pour les îles qui comprendra 700 hommes et douze navires : deux porte-hélicoptères, et dix patrouilleurs qui seront construits d’ici avril 2015 (13). Afin de permettre aux Gardes-côtes de remplir plus efficacement ce rôle autour des Senkaku, Tokyo a décidé de créer une unité chargée spécifiquement de la région. Cette unité comprendra 700 hommes et douze navires dont deux porte-hélicoptères et dix nouveaux patrouilleurs qui seront construit d’ici avril 2015. L’unité dépendra de la 11e unité de Gardes côtes opérant depuis Naha sur l’île d’Okinawa, et sera basée sur l’île d’Ishigaki, à environ 175 km au sud-est d’Uotsurijima, la principale île des Senkaku.

Outre cette augmentation des moyens, les Forces d’Auto Défense multiplient les entraînements : le 13 janvier, un exercice de reprise d’une île envahie par un ennemi, le 15 janvier, un exercice aérien conjoint américano-japonais engageait dix avions américains et japonais, enfin, le 22 janvier, exercice Iron Fist avec l’US Marines Corps afin d’améliorer l’interopérabilité des forces (14).

Toutefois, malgré ces mesures fortes, Shinzo Abe a adressé un geste d’apaisement en déclarant : « Il pourrait être nécessaire de rétablir la relation, à commencer par un sommet (bilatéral) (15) ». Tomiichi Murayama et de Natsuo Yamaguchi ont transmis une lettre de M. Abe à Xi Jinping proposant d’établir une « relation stratégique mutuellement bénéfique (16) ». Cette main tendue s’explique par une volonté de relance des relations économiques et de nuance d’une attitude perçue comme un retour du militarisme nippon. Toutefois, aucune négociation ne portera sur les Senkaku. Si la proposition de sommet a été accueillie avec satisfaction, Li Yuanchao, membre du Poliburo (17) exprimant son « appréciation », Xi Jinping a declaré : « Aucun pays étranger ne doit s’attendre à ce que nous fassions une offre sur nos intérêts fondamentaux et espérer que nous avalions la pilule amère qui nuira à nos intérêts souverains, notre sécurité et notre développement (18) ». La stratégie chinoise consiste à imposer une présence chinoise de fait afin de revendiquer l’administration des îles au regard du droit international. La Chine a ainsi transféré deux destroyers et neuf navires à sa flotte de surveillance maritime (19) auxquels s’ajoutent treize navires construits depuis 2000 et 36 prévus entre 2011 et 2015 (20) afin de « répondre à l’insuffisance de navires utilisés pour protéger ses intérêts maritimes ». En parallèle, Pékin mène une série d’exercices navals dans le Pacifique Ouest, ce qui semble être un moyen de pression destiné à affirmer les revendications chinoises, et constitue une étape de plus vers une marine de haute mer.

***

Les tensions autour des Senkaku/Diaoyu et les augmentations des budgets militaires attestent des relations tendues entre les deux pays. Dans ce contexte, le « rameau d’olivier » tendu par Shinzo Abe témoigne d’une volonté de désescalade et pourrait permettre d’aplanir les différends à travers le maintien d’un statut quo autour des Senkaku, suivant la formule de Deng Xiaoping : « Mettre de côté les contentieux et à… les laisser aux futures générations ». Dans un contexte de crise économique japonaise durable, faisant du redressement une priorité gouvernementale, et dans la mesure où aucune des deux parties n’entend abandonner ses revendications, les questions économiques devraient être au cœur des échanges.

Il apparaît donc dans ce contexte de tensions constantes, que les deux parties doivent impérativement laisser une chance au dialogue (21), sans quoi un incident pourrait déboucher sur un conflit non plus verbal mais armé. Or, mardi 5 février, le ministre de la Défense japonais a annoncé qu’une frégate chinoise avait visé le 30 janvier un bateau militaire japonais avec un radar qui sert à ‘verrouiller’ une cible à atteindre, en mer de Chine orientale. L’utilisation de ce type de radar est une procédure inhabituelle et peut éventuellement signifier la préparation d’un tir imminent contre une cible. C’est un acte « dangereux qui peut mener à des situations imprévisibles », a déclaré mercredi le Premier ministre japonais, Shinzo Abe. « C’est extrêmement regrettable. Nous souhaitons qu’ils (la Chine, ndlr) fassent preuve de retenue afin d’éviter une escalade inutile. », a déclaré M. Abe au Parlement. Mardi, l’ambassadeur chinois à Tokyo a une nouvelle fois été convoqué au ministère des Affaires étrangères au lendemain d’une incursion de navires gouvernementaux chinois dans les eaux territoriales des îles Senkaku.

Les parties doivent donc faire des concessions. Pourquoi ne pas envisager de faire de ces quelques îlots – qui resteraient sous administration japonaise – une zone démilitarisée où il serait interdit de stationner des troupes ou des matériels militaires, avec un partage des zones de pêche ?

(1) Lire notamment notre précédent article sur le sujet : http://www.affaires-strategiques.info/spip.php?article7597
(2) ‘FY13 budget to boost defense expenditures‘, The Yomiuri Shimbun, 29 janvier 2013
(3) Jacques Lhuillery, ‘Le premier ministre du Japon veut amender la Constitution d’après-guerre’, 31 janvier 2013, AFP.
(4) « Le Japon veut réviser sa Constitution pacifiste », 1er février 2013, RFI.
(5) Jean-François Arnaud, « Le Japon augmente ses dépenses militaires », Le Figaro, 9 janvier 2013
(6) http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2012/12/13/iles-disputees-un-avion-chinois-survole-la-zone-des-avions-japonais-decollent_1805345_3216.html
(7) Tsuyoshi Takasawa / Yomiuri Shimbun Staff Writer, « ASDF monitoring Senkakus 24 hrs a day / Radar-equipped aircraft deployed in bid to prevent intrusions by Chinese planes », The Daily Yomiuri
(8) http://www.japantimes.co.jp/news/2013/01/12/national/japan-coast-guard-to-form-dedicated-group-for-senkaku-patrols/#.UQtugFpufpj
(9) Edouard Pflimlin, Le retour du Soleil Levant. La nouvelle ascension militaire du Japon, Ellipses, juin 2010
(10) Bernard Prèzelin, Flottes de combat 2012, Editions maritimes et d’outre-mer, novembre 2012.
(11) http://blogs.wsj.com/japanrealtime/2012/10/27/the-race-to-beef-up-japans-coast-guard/
(12) http://blogs.wsj.com/japanrealtime/2012/10/27/the-race-to-beef-up-japans-coast-guard/
(13) http://www.lemonde.fr/japon/article/2013/01/29/tokyo-va-creer-une-force-navale-chargee-de-defendre-les-senkaku_1823898_1492975.html
(14) http://www.13thmeu.marines.mil/News/NewsArticleDisplay/tabid/1982/Article/137060/13th-meu-begins-exercise-iron-fist-2013.aspx
(15) http://www.japantimes.co.jp/news/2013/01/30/national/abe-suggests-a-japan-china-summit-is-needed-to-mend-ties/#.UQuatFpufph
(16) http://www.japantimes.co.jp/news/2013/01/30/national/abe-suggests-a-japan-china-summit-is-needed-to-mend-ties/#.UQuatFpufph
(17) http://ajw.asahi.com/article/asia/AJ201301300067
(18) http://abcnews.go.com/International/wireStory/china-leader-compromising-sovereignty-18342290
(19) http://nautisme.lefigaro.fr/breves-nautisme/divers-0/2012-12-31-16-57-42/la-chine-ajoute-deux-destroyers-a-sa-flotte-de-surveillance-8229.php
(20) http://strategicstudyindia.blogspot.fr/2013/01/chinas-maritime-surveillance-fleet-adds.html
(21) http://ajw.asahi.com/article/views/editorial/AJ201301260027


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