ANALYSES

Le renouveau de la production pétrolière aux Etats-Unis ne signifiera pas le désengagement du Moyen-Orient

Tribune
18 janvier 2013
Ce diagnostic peut être élargi à d’autres sources d’énergie : l’essor de la filière du gaz de schiste a entraîné une hausse importante de la production de gaz naturel et, face à une demande en recul, s’est traduite par un effondrement des cours ; les ressources en charbon demeurent abondantes et leur prix compétitif ; les agro-carburants ont connu une montée en puissance spectaculaire au prix toutefois d’une forte tension sur le marché du maïs.

Cette tendance à l’augmentation de la production domestique d’énergie devrait perdurer d’ici 2014/2015 et se traduire par une baisse très significative des importations. Il est donc correct de considérer que l’énergie représente et représentera un avantage compétitif des Etats-Unis par rapport à d’autres zones géographiques aux moindres capacités de production locale qui doivent importer l’essentiel de leur consommation (notamment depuis le Moyen-Orient). Les Etats-Unis devraient ainsi bénéficier d’une amélioration de leur balance commerciale, tout du moins en termes relatifs par rapport à l’Union européenne, au Japon mais également à la Chine, ce qui pourrait se traduire par une appréciation du dollar US.

Par extension, des voix s’élèvent pour tirer des conclusions en termes de politique internationale : « Des Etats-Unis plus forts sur le plan de l’énergie et moins dépendants des importations de pétrole, vont se désintéresser du Moyen-Orient ».

Cette affirmation traduit en premier lieu une incompréhension des mécanismes de pricing du marché pétrolier. Le pétrole brut et les produits raffinés sont faciles et peu coûteux à transporter, notamment via les routes maritimes par tanker. Ceci signifie que les prix ont tendance à converger au niveau mondial. Les écarts de prix entre différentes zones ne dépendent que de différences qualitatives entre bruts, de spécifications techniques entre les produits raffinés, de facteurs liés à la fiscalité et enfin à des contraintes locales de transport (notamment des bottlenecks au niveau des pipelines ou des ports).

La situation actuelle des Etats-Unis fournit une bonne représentation de ce phénomène ; elle peut être analysée à travers le comportement des prix des deux références les plus importantes au niveau mondial : le pétrole brut WTI (Texas) et le pétrole brut Brent (Mer du Nord). Le WTI et le Brent font l’objet d’échanges physiques sur les marchés spot et sont aussi cotés sur les marchés à terme (marchés futures ), marchés sur lesquels tous les opérateurs pétroliers sont actifs, mais aussi beaucoup d’investisseurs financiers.

Le West Texas Intermediate (WTI) est un brut de production domestique. Le prix du WTI est établi pour une livraison à Cushing, Oklahoma, dans la région Mid Continent. Historiquement, le WTI a été la référence domestique la plus connue et le contrat futures sur matières premières le plus traité au monde.

Le Brent est un pétrole brut produit off-shore en Mer du Nord. Le contrat futures Brent prend aussi en compte d’autres qualités de brut produites dans cette région et est représentatif du prix du pétrole pour la zone NWE (North West Europe). Néanmoins, il faut remarquer que l’influence du Brent dépasse l’Europe occidentale et qu’il constitue la principale référence internationale pour le trading de pétrole brut. On estime que 70% du commerce international de pétrole brut se fait sur la base d’indexations sur le prix du Brent. Ainsi, à titre d’exemple, les cargaisons de pétrole du Nigeria sont vendues avec une formule de prix basée sur le Brent.

Historiquement, les prix WTI et Brent ont été assez proches, mais on assiste depuis deux ans à une forte décorrélation. Actuellement, le prix du pétrole brut WTI est significativement plus bas que celui du Brent (de l’ordre de 20 dollars le baril) en raison de difficultés logistiques dans la région Mid Continent : la croissance de la production de pétrole de schiste est plus rapide que l’augmentation des capacités de transport par pipeline. L’écart entre le Brent et le WTI reflète le coût d’évacuation du brut du centre des Etats-Unis vers les régions côtières, en particulier le Golfe du Mexique, par transport ferroviaire voire routier. En revanche, on constate que les prix du pétrole brut sur les zones côtières qui concentrent l’essentiel de la consommation sont toujours convergents avec les prix internationaux. Le même constat vaut aussi pour les prix des produits raffinés, comme l’essence et le fuel domestique,

Ceci signifie que même en cas de besoins d’importation plus faibles à l’avenir, les prix du pétrole brut et surtout des produits raffinés aux Etats-Unis continueront à être alignés sur les prix internationaux. Or ces prix seront toujours influencés prioritairement par le niveau de production et par les événements au Moyen-Orient, région concentrant la vaste majorité des réserves mondiales. La politique de pricing de l’Arabie Saoudite, les évolutions politiques et de production en Irak, les tensions autour de l’Iran resteront les facteurs clés pour le prix du pétrole.

Une moindre dépendance des Etats-Unis aux flux d’importation pétrolière depuis le Moyen-Orient ne signifie pas que les autorités américaines pourront se désintéresser de l’évolution des prix du pétrole, ni de ce qui se passe dans cette région.

Un désengagement par rapport au Moyen-Orient (relations privilégiées avec certains gouvernements, bases militaires, influence économique) ne semble pas à l’ordre du jour. D’autant moins si l’on inscrit cette analyse dans la confrontation de long terme entre Etats-Unis et Chine, sachant que la Chine présente un degré de dépendance au pétrole et aux flux d’importation depuis le Moyen-Orient plus élevé que les Etats-Unis, mais qu’elle jouit – pour le moment – d’une influence réduite dans la région.
Sur la même thématique