ANALYSES

Le Canada face au « péril jaune »

Tribune
19 décembre 2012
Par Charles Thibout, ancien assistant de recherche à l’IRIS
Dès lors, on comprend aisément le tollé qu’a suscité cette nouvelle dans le camp de l’opposition, dominé par le Nouveau Parti Démocratique (NPD). Cependant, plus qu’un contournement juridique, cette décision du gouvernement met au jour des problématiques auxquelles les Canadiens refusaient jusqu’alors de se confronter.

La CNOOC n’est pas une multinationale comme les autres : elle est la propriété du gouvernement chinois et se targue d’agir comme l’instrument de la politique étrangère de la Chine. De fait, la Chine emploie une stratégie d’infiltration des économies étrangères par l’intermédiaire de ses propres entreprises. L’objectif principal qu’elle poursuit est de diversifier au maximum ses sources d’approvisionnement pétrolières pour répondre à ses besoins énergétiques en constante augmentation ; elle cherche également à diversifier ses marchés pour trouver de nouveaux débouchés à sa production nationale ; c’est aussi un moyen pour elle de rattraper l’avance technologique de pays comme le Canada, parfois par le biais de l’espionnage industriel.

Mais l’opposition n’est pas la seule à s’interroger sur cette acquisition. Le gouvernement de Monsieur Harper lui-même cherche à limiter les possibilités d’achat par des SEE de compagnies pétrolières et gazières canadiennes. Dans le cas contraire, l’indépendance énergétique dont jouit aujourd’hui le Canada serait compromise, alors qu’il s’agit de l’un des points forts du pays en matière stratégique. D’autre part, pour en revenir au cas particulier de CNOOC, il s’agit d’une entreprise dont la question des droits de l’homme et du respect de l’environnement laisse pour le moins perplexe, pour ne pas dire indifférente, en témoignent les scandales qui ont éclaté en Birmanie en 2007 et 2008. Aussi cet accord entache-t-il quelque peu la crédibilité d’un gouvernement qui se pose, par ailleurs, en ardent défenseur de la lutte pour le respect des droits de l’homme.

Ainsi nombreux sont ceux qui s’interrogent sur cette décision du gouvernement Harper, d’autant que les conservateurs eux-mêmes avouaient, il y a peu, que cet achat ne représentait pas un avantage net pour le Canada. Seulement, les intérêts canadiens vont bien au-delà de cette unique acquisition. En effet, il faut rappeler que la Chine est le deuxième partenaire commercial du Canada, après les Etats-Unis. Et les relations sino-canadiennes n’étaient pas au mieux depuis l’arrivée au pouvoir de Stephen Harper. Le Premier ministre canadien avait en effet pointé du doigt les égarements de la Chine quant au respect des droits de l’homme sur son territoire et au sein de ses entreprises. Seulement, intérêts obligent, Harper déclarait en octobre dernier son intention de resserrer les liens économiques entre les deux pays, fût-ce au mépris des considérations morales d’antan.

Et, de fait, un veto du gouvernement canadien dans cette affaire aurait compromis ce rapprochement. CNOOC est une entreprise nationale chinoise, aussi refuser l’achat de Nexen aurait été perçu comme un affront direct du gouvernement canadien à l’égard du gouvernement chinois. En 2011, la Chine investissait 10,9 milliards de dollars au Canada, selon la Fondation Asie-Pacifique canadienne, aussi eût-il été mal venu de la part du gouvernement canadien d’empêcher un tel achat, sachant les risques majeurs encourus : la Chine aurait très bien pu pénaliser l’économie canadienne en réfrénant considérablement ses investissements ou en licenciant des employés canadiens.

Ainsi, malgré les risques d’espionnage industriel évoqués, la question des droits de l’homme et de l’environnement soulevée, la prise de contrôle progressive de la Chine sur le secteur pétrolier canadien discutée, le gouvernement a finalement décidé de laisser passer cette acquisition. Pendant ce temps, l’opposition crie haro sur le « péril jaune. »
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