ANALYSES

La tension monte en mer de Chine méridionale

Tribune
20 juillet 2012
Il existe, en mer de Chine méridional, trois ensembles d’îles: les Paracels (ou Xisha), les Spratleys (ou Nansha) et le Macclesfield Bank (ou Zhongsha). Le premier groupe, longtemps occupé par le Vietnam, a fait l’objet d’un coup de force chinois dans les années 70. Les deux autres sont revendiqués, en tout ou en partie, par les pays directement riverains, mais aussi par Pékin (alors que le point le plus proche de la RPC est à plus de 500 miles) et par Taiwan (à 750 miles de là). Tous ces îlots sont minuscules et la seule occupation permanente connue est celle de l’île de Itu Aba (la plus ‘grande’ d’entre elles, 1,4 km de long et 400 mètres de large) par Taiwan, depuis 1956.

Les revendications de souveraineté ont d’abord été causées par l’espoir de découvrir des ressources naturelles dans la zone entourant ces îles (pétrole, mais aussi nodules polymétalliques). Elles ont été exacerbées par la mise en application du Traité de Montego Bay qui donnait à la Chine l’espoir de s’imposer comme puissance souveraine dans la mer de Chine méridionale. Au-delà de l’espoir de nouvelles ressources, elle y gagnerait le contrôle d’une bonne part du trafic maritime mondial de marchandises, mais aussi celui de tous les approvisionnements vitaux de la Corée et du Japon et éloignerait l’US Navy de ses côtes.

Dans le cadre de la montée en puissance militaire, et surtout maritime, la volonté affichée par Pékin de s’imposer en mer de Chine méridionale n’est pas nouvelle. Mais elle est en train de prendre une tournure plus inquiétante. Les démonstrations de force en direction d’un atoll, les Scarborough Shoal (Huangyan Island), revendiqué par elle et par les seules Philippines, dont les côtes sont à seulement 120 miles, se multiplient. Ici, les luttes entre pêcheurs chinois venus braconner et garde-côtes philippins durent depuis des années. Depuis le printemps 2012, elles ont pris une ampleur inaccoutumée, des navires des garde-côtes chinois étant venus protéger les pêcheurs sur le point d’être arrêtés par la marine des Philippines. Après un bras de fer local, les deux capitales ont annoncé que des négociations allaient se tenir, mais, des deux côtés, les positions se durcissent. Pékin et Manille maintiennent l’affirmation de leur souveraineté complète sur l’atoll. Du côté chinois, la presse et l’opinion publique semblent appeler à une démonstration de force et à une occupation permanente et armée du récif. Les Philippines, qui ne possèdent pas les moyens de s’opposer militairement, menacent de représailles économiques. Après une brève accalmie, durant laquelle les deux pays ont retiré leurs moyens de la zone, la Chine y a de nouveau envoyé des navires au début du mois de juillet.

Le 15 juillet, les pays riverains ont également annoncé l’arrivée dans les Spratleys d’une importante flotte de pêche chinoise, vraisemblablement soutenue par des garde-côtes. Tout aussi inquiétant, le comité permanent de l’île de Hainan a décidé, le 17 juillet, la création d’une municipalité des Sansha (trois archipels) qui regroupe, autour de ces îles contestées, pas moins de 2 millions de kilomètres carrés, qualifiés d’eaux territoriales.

Ces incidents pourraient dégénérer. La prise de possession des Paracels par la Chine avait fait l’objet d’incidents militaires assez importants, au cours desquels des dizaines de marins vietnamiens avaient trouvé la mort. Le même genre d’incident pourrait se reproduire au Scarborough Shoal ou aux Spratleys. Le risque n’est pas tant d’un affrontement délibéré, mais, comme cela s’est produit aux Paracels, d’un incident mal géré. Le contentieux met en effet en présence sur le terrain des pêcheurs chinois qui ont pris l’habitude d’utiliser des méthodes peu légales (pêche à l’explosif, capture d’espèces protégées…) et des forces militaires qui, aussi bien d’un côté que de l’autre, n’ont pas atteint une maturité opérationnelle.

Il faut également replacer ce qui se passe en mer de Chine méridionale dans un contexte global. Depuis quelques années, la Chine se fait de plus en plus pressante, voire arrogante, dans une zone qu’elle considère comme faisant intégralement partie de sa mare nostrum . Ses actions ont conduit les pays riverains à envisager, plus ou moins discrètement d’abord, puis de manière plus visible, un soutien des Etats-Unis, alors que ceux-ci affirmaient aussi leur volonté de se ré-engager dans la zone. Cela s’est traduit par un important renforcement de la présence militaire américaine, et surtout par le rétablissement de points d’appui perdus par Washington au cours des années précédentes. C’est ainsi qu’au cours des derniers mois, outre le redéploiement de 2 500 Marines à Darwin, sur la côte Nord de l’Australie, on a vu un agrément américano-singapourien sur le déploiement permanent de navires de guerre américains dans la cité-Etat et l’ouverture de discussions sur le positionnement de moyens états-uniens aux Philippines, en particulier via une réactivation partielle de l’ancienne base de Subic Bay. Il y aurait même des tractations avec le gouvernement vietnamien pour accorder des facilités sur l’ancienne base de Cam Ranh. Le sommet interministériel de l’ASEAN qui s’est tenu à Phnom Penh au début du mois de juillet a été marqué, pour la première fois dans l’histoire de l’organisation, par l’absence d’un communiqué final. Les dissensions sont très profondes au sein de cet organisme qui avait toujours réussi à afficher au moins une solidarité minimaliste.
Les tentatives chinoises peuvent paraître paradoxales, dans la mesure où elles semblent jeter les pays de l’ASEAN dans les bras de Washington. Il n’est pas exclus qu’il s’agisse simplement de tests, destinés à voir jusqu’où pourront aller les Etats-Unis, sachant qu’ils sont désormais en période électorale pour plusieurs mois et qu’il leur sera difficile de réagir tant que les événements ne prendront pas une trop grande ampleur. Mais il ne faut pas non plus oublier le fait que la Chine est elle aussi dans une période de préparation à un changement de dirigeants. Les luttes, trop souvent masquées en Occident par des problèmes de dissidents qui n’ont pas beaucoup de retentissement sur place, sont extrêmement âpres, comme en témoigne le retour d’une censure plus dure. Tout ce qui peut donc ressouder la population contre un ‘ennemi’ extérieur est donc bienvenu.
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