ANALYSES

L’industrie de défense japonaise : quelles perspectives ?

Tribune
5 juin 2012
Dans ce contexte, l’industrie japonaise de défense s’éloigne-t-elle du « danger d’effondrement » ? Il avait été évoqué en 2010 par le centre de recherche JJIA en raison d’un manque de croissance de l’industrie d’armement et de l’incapacité des constructeurs japonais à vendre des armes à l’étranger, ce qui permettrait pourtant d’accroître les profits et minimiser les risques (2). Cette situation a conduit plus de 20 sociétés japonaises, depuis 2003, à arrêter leur participation dans le domaine de la production d’avions.
Un tournant pour l’industrie de défense japonaise se produit néanmoins fin 2011 avec la levée de certaines contraintes aux exportations d’armement (3). Même si les possibilités d’exporter sont en réalité limitées (en raison de l’interdiction de le faire pour des armes susceptibles d’être utilisées dans des conflits), les industriels de l’armement japonais ont les mains plus libres pour participer à des projets d’armement internationaux. Un exemple récent est donné par les liens avec le Royaume-Uni. La visite début avril du premier ministre britannique David Cameron, qui a rencontré à Tokyo son homologue Yoshihiko Noda, a ouvert la voie à une coopération industrielle sur certains projets d’armement. Le processus peut toutefois être très long à se mettre en place, soulignent certains experts (4). Avant la rencontre du 10 avril à Tokyo, le porte-parole du ministère de la Défense japonais, Takaako Ohno, avait souligné que le Royaume-Uni « [était] est un partenaire potentiel parce que notre politique est que les pays partenaires sont ceux qui sont capables de coopérer avec nous comme allié et le Royaume-Uni est membre de l’OTAN. » Tim Huxley, directeur exécutif de l’Institut international pour les études stratégiques en Asie, souligne néanmoins que : « Les Japonais pourraient vouloir des alternatives à la coopération exclusive en matière d’industrie de défense. » Un partenariat avec le Royaume-Uni et probablement avec d’autres Etats dotés de capacités industrielles de défense avancées comme la France est possible.

Quels sont les domaines possibles de collaboration ? Si le Japon et le Royaume-Uni ont annoncé le 10 avril des plans « pour lancer ‘dès que possible’ un programme de développement commun d’équipement militaire » (5), ils n’ont pas été très diserts sur les domaines de coopération. Les programmes pourraient être lancés dans les prochains mois. Le quotidien conservateur japonais Sankei Shimbun a évoqué la mise au point d’un nouvel obusier de 155 mm. Les Forces d’autodéfense japonaises (FAD) pourraient en effet être intéressées par l’obusier M777 de BAE Systems. Selon Shinichi Kiyotani, un analyste des questions de défense au Japon, les tenues de protection contre les armes nucléaires, bactériologiques ou chimiques (NBC) et la détection des mines seraient deux autres domaines envisagés.

Plus largement, certains estiment que cet accord pourrait ouvrir la voie à des exportations d’armement plus conséquentes, par exemple des frégates britanniques T26. Jusqu’à présent, les plus importantes exportations d’armes britanniques au Japon ont été la vente de 14 hélicoptères Agusta Westland AW101 pour les Forces d’autodéfense maritimes japonaises.

Un rapport publié en février 2012 (6) dresse un état des lieux de l’industrie de défense japonaise ainsi qu’un tableau des menaces et des opportunités pour les entreprises étrangères, notamment françaises, de vendre des armements au Japon. Il y a ainsi clairement un potentiel de coopération et d’exportations alors que l’Archipel a le 5e budget militaire de la planète. D’une part, la menace nord-coréenne stimule la demande pour les missiles et les systèmes de défense antimissiles. D’autre part, les FAD ont de multiples besoins en matière d’entraînement et d’équipement pour les combats non-conventionnels, en matière de surveillance du territoire ou encore dans le domaine des hélicoptères de recherche et de sauvetage. Les technologies pour détecter les équipements furtifs et les radars aériens seront également nécessaires, au regard notamment de la modernisation des capacités furtives chinoises – avion de combat J-20 notamment.

Toutefois ce budget de 57,7 milliards de dollars a encore baissé en 2011 (7), une tendance à l’œuvre depuis plus d’une décennie. C’est d’autant plus surprenant que la menace chinoise croissante préoccupe de plus en plus le gouvernement japonais et que celui-ci a réorienté sa doctrine et ses moyens militaires vers les zones sud-ouest de l’Archipel.

Cependant, les analystes s’attendent toutefois à un retournement de tendance et à des importations d’armement plus importantes d’ici 2016, concernant en particulier les avions de combat. Ils soulignent ainsi que l’établissement d’une filiale au Japon peut donner une opportunité supplémentaire pour les entreprises du secteur de fournir le ministère de la Défense japonais (8). Un débouché à l’export au Japon pourrait également permettre notamment aux Européens de compenser en partie de la réduction des budgets de la défense en Europe de l’Ouest.

(1) “Japan’s Next Fighters : F-35 wins the F-X competition”, Defense Industry Daily, 6 mai 2012, http://www.defenseindustrydaily.com/f22-raptors-to-japan-01909/
(2) “Japan’s Defense Industrial Base in Danger of Collapse”, Yukari Kubota, 10 mai 2010, The Association of Japanese Institutes of Strategic Studies
http://www2.jiia.or.jp/en_commentary/201005/10-1.html
(3) Lire notamment : http://www.affaires-strategiques.info/spip.php?article6012
(4) Wendel Minnick, “UK, Japan to jointly develop arms”, Defense New, 9 avril 2012
(5) Ibid
(6) “The Japanese defense industry – Market opportunities and entry strategies, Analyses and Forecasts to 2016”, ICD Research, février 2012
(7) “Japan defence security report Q2 2012”, BMI, avril 2012
(8) Ibid
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