ANALYSES

Elections serbes à risque au Kosovo

Tribune
4 mai 2012
Par Gaëlle Pério Valero
Vu de Pristina, l’organisation des élections présidentielle et législative serbes pour les bi-nationaux sur son territoire si elle n’est pas bienvenue, est tolérable sous certaines conditions. La principale est que l’OSCE organise le scrutin. Belgrade, pourtant, se fait tirer l’oreille. La démission du Président serbe, Boris Tadic, le 4 avril dernier, freine également les négociations. A dix jours du premier tour, aucun accord n’a été conclu, rendant l’organisation périlleuse.

L’organisation de ce vote soulève une question complexe: « Quelle est l’autorité légitime dans les zones serbes? » L’enjeu est triple. Le gouvernement kosovar veut démontrer sa détermination à contrôler une partie de son territoire qui ne reconnaît pas son autorité et fonctionne toujours sous des institutions parallèles financées par Belgrade. La Communauté internationale, pour sa part, souhaite au maximum garantir la sécurité et éviter affrontements ou provocations, gardant en mémoire les violences aux postes frontières de l’été dernier. Pour Belgrade enfin, l’enjeu est surtout de ne pas faire preuve de faiblesse durant la campagne.

Belgrade a cependant tout intérêt à ne pas heurter Pristina. Le dialogue entre les deux voisins est une condition sine qua non de la progression européenne des deux pays, enjeu crucial surtout pour la Serbie, candidat officiel à l’UE depuis le 1er mars dernier.

Si la dernière campagne présidentielle, au lendemain de l’indépendance du Kosovo, était clairement axée entre le Kosovo et l’UE, la campagne 2012 s’articule d’abord sur une thématique européenne et économique. Avec un taux de chômage de 20%, la Serbie, déjà sinistrée, s’enlise dans une crise économique chronique. Même les candidats nationalistes prônent désormais une solution « la plus réaliste possible » pour le Kosovo.
Ce changement de discours n’a pas échappé aux Serbes du Kosovo relégués désormais à l’arrière-plan des discours électoralistes. Habitués à être l’enjeu ou le pion des forces en présence, ils ont le sentiment d’être abandonnés. Cette prise de conscience s’est traduite depuis des années pour les Serbes des enclaves par des compromis pragmatiques avec Pristina afin d’assurer leur sécurité et leur mode de vie. Le réveil est plus brutal pour les Serbes du Nord. Ils ont longtemps espéré une partition, option désormais chimérique. L’instauration difficile du plan Ahtisaari au sud de l’Ibar ne les rassure pas davantage sur un Nord Kosovo sous contrôle de Pristina. Désillusions et peurs nourrissent la radicalisation des Serbes du Nord, qui se méfient désormais aussi des leurs comme de la Communauté internationale.

Deux municipalités du Nord souhaitent organiser des élections locales malgré la claire opposition de Pristina comme des Internationaux. Si Belgrade parvient à leur faire entendre raison, les élections se passeront le moins mal possible. En revanche, faisant fi des instructions de Belgrade, un scrutin local pourrait être organisé. Ce serait une provocation pour le gouvernement d’Hashim Thaçi, le premier ministre kosovar, certes, mais surtout pour les Kosovars eux-même qui pourraient se retourner contre les Serbes des enclaves. En prévision d’éventuelles tensions entre les communautés, la KFOR, force de l’OTAN au Kosovo, a déjà obtenu un renfort du contingent (près de 8 000 soldats) avec l’arrivée de plus de 550 soldats allemands et 150 autrichiens la semaine dernière.
Les conséquences d’un débordement seraient d’abord lourdes pour la Serbie. Par cette présidentielle anticipée, le Président Tadic compte profiter de l’élan européen pour poursuivre son mandat et la progression européenne. En cas de réélection, il lui faudra donner d’ici cet été un signal fort de dialogue avec le Kosovo si la Serbie espère obtenir le début des négociations d’adhésion lors de la publication du prochain rapport de progrès du Conseil européen début octobre. Mais l’enjeu n’est pas seulement local, bien que les perspectives d’élargissement soient pour le moment au ralenti, l’UE a tout intérêt à voir les pays des Balkans, et notamment la Serbie, poids lourd de la région, à s’engager durablement dans la voie des réformes. Dans cette zone au Nord de l’Ibar, équivalente à quelques cantons, se joue aussi, début mai, la sécurité d’une frontière de l’UE.

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