ANALYSES

De l’esprit du terrorisme en Amérique

Tribune
13 mars 2012
Par Hamdi Nabli, politologue
La sécurité des biens, des marchandises et des personnes fut la condition de l’épanouissement du capitalisme. Le Léviathan de Hobbes (1651) est comme le témoignage philosophique de ce souci historique. La société occidentale moderne, nous le savons depuis Surveiller et punir de Foucault, est une société disciplinaire basée sur la surveillance. Le modèle de cette société est le panoptique de Bentham (1780). Si le libéralisme institutionnel et juridique – les libertés publiques et les droits fondamentaux – est présenté comme une spécificité de la civilisation occidentale fondant sa supériorité, l’instauration d’un système carcéral dans le régime judiciaire façonne en même temps les contours d’un monde où l’enfermement constitue le schéma général des organisations (école, usine, hôpital, asile). De l’ancien pouvoir souverain au biopouvoir gouvernemental moderne, la tâche de la classe dirigeante s’est muée en une gigantesque entreprise de garde des populations et de contrôle du comportement des individus.
La guerre contre le terrorisme comme politique globale des grandes puissances mondialisées du XXIe siècle est une extension du domaine de la lutte contre l’insécurité comme politique nationale des Etats bourgeois du XIXe. Dans ce cadre extensif, le terrorisme, qui est fondamentalement un projet politique de destruction symbolique de biens, de marchandises et de personnes, représente la figure radicale de l’insécurité, et par conséquent le risque ultime que court le capitalisme, avec son projet économique de surproduction généralisée. Toute entité (individu, peuple, civilisation) remettant en cause ce système est source d’insécurité et acquiert dès lors « l’esprit du terrorisme » (Jean Baudrillard). Ainsi, peuvent logiquement acquérir l’esprit du terrorisme aussi bien des entités se situant hors de l’aire occidentale, que des entités internes au système : la violence politique des groupuscules d’extrême-gauche dans les années 70 le prouve. Seulement, la fin des idéologies et la chute du communisme, dans les années 90, a fait basculer l’épicentre du « Mal », et le « djihadisme » a revêtu les habits de l’ennemi absolu, instaurant en Occident un lien consubstantiel et indéfectible entre islamisme et terrorisme, voire entre Islam et violence. Le fait que Bernard Lewis, le concepteur du « choc des civilisations » (en 1957), soit en même temps l’historien des Assassins (1967), la secte ismaélienne du XIIe siècle, constitue un témoignage de la construction cognitive de l’imaginaire diabolique dans « l’Empire du Bien » (Philippe Murray), où le terrorisme, la violence et le Mal viennent forcément du dehors. La culture politique occidentale, façonnée par le discours néoconservateur, est imprégnée de cet imaginaire, dans la mesure où celui-ci est fonctionnel à l’ère de la mondialisation, permettant aux puissances de justifier leur pouvoir en liant humanisme et stratégie.
Le terrorisme est une forme d’action définie par une technique, et est donc soumis à une perpétuelle réversibilité, pouvant être utilisé par une machine de guerre résistant à un pouvoir, comme être fomentée par un appareil d’Etat externe pour déstabiliser un régime. Aux Etats-Unis, il semblerait que l’esprit du terrorisme se soit infiltré au cœur même du système pénitentiaire, qui, au lieu d’amender les criminels, s’accommode de la violence des détenus regroupés en gangs, comme la Fraternité aryenne, groupe néonazi prônant la suprématie blanche. C’est pourquoi, à l’heure où la démocratie et les droits de l’Homme sont présentés au monde comme des idoles dont la grandeur justifie la guerre et les devoirs de l’Occident, il est nécessaire de s’intéresser à la guerre qui se déroule en sourdine dans l’univers carcéral du pays leader du monde libre, afin de s’interroger sur « la valeur des valeurs » occidentales (Nietzsche) et sur la nature de l’hypocrisie et du mensonge dont a besoin la superpuissance mondiale pour se croire supérieure. Nous cherchons à savoir si les Grecs ont cru à leurs dieux ; les historiens du IIIe millénaire chercheront peut-être à savoir si les Occidentaux croyaient en leurs idoles.
* Vient de publier La Fraternité Aryenne. L’esprit du terrorisme au cœur de l’Amérique blanche , Editions Connaissances et Savoirs, Paris, 2012.
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