ANALYSES

Tobin or not Tobin ? Doit-on imposer une taxe sur les transactions financières ?

Tribune
13 janvier 2012
Face aux arguments des uns et des autres, il est souvent difficile non seulement de comprendre les enjeux d’une telle taxe mais aussi de se faire une opinion quant à son opportunité. Ce texte ne prétend pas énoncer des arguments définitifs ou donner un avis sur le sujet. Il est simplement le résultat de réflexions personnelles posées sur une feuille blanche et qui peuvent nourrir un débat dépassionné et réaliste sur le sujet.

La taxe sur les transactions financières, souvent dénommée « taxe Tobin » du nom de cet économiste américain, Prix Nobel en 1981 qui en proposait la version la plus élaborée en 1972. En réalité, l’idée de taxer les transactions financières pour limiter la spéculation est une idée fondatrice de la théorie keynésienne. En effet, en 1936, Keynes proposait déjà d’encadrer la spéculation financière pour limiter l’instabilité des marchés financiers. Il expliquait : “Speculators may do no harm as bubbles on a steady stream of enterprise. But the situation is serious when enterprise becomes the bubble on a whirlpool of speculation.”
Doit-on imposer cette taxe ?
Dans le contexte actuel d’augmentation généralisé des impôts afin de réduire les dettes publiques et au regard de ce que les plus modérés d’entre nous qualifie « les excès de la finance », la réponse est indiscutablement « oui » !

L’argument principal invoqué par les opposants à cette taxe est qu’elle pourrait, si elle n’est appliquée que dans un pays, inciter les acteurs de la finance à placer leurs capitaux sur des places financières plus accommodantes. Certes mais comme l’objectif d’un tel instrument est justement de limiter la spéculation, si on parvient grâce à une telle mesure à faire fuir les spéculateurs et les fonds spéculatifs, ne peut-on considérer que cela est une belle réussite ? L’argument paraît quelque peu naïf et méconnaître le fonctionnement des marchés financiers. Il est pourtant inspiré d’une interview accordée au printemps dernier par Joseph Stiglitz à une chaîne d’information française !

Qui plus est, il est souvent question, pour justifier les réformes qui sont mises en place et les efforts qu’elles imposent à tout un chacun, de l’avenir de nos enfants… Dans ce cas très précis, la question est des plus opportune ! C’est d’ailleurs certainement pour cette raison qu’elle dépasse les courants politiques traditionnels et que le premier projet devenu loi en France fut le fait du parti socialiste en 2001 (il ne s’agissait toutefois que des transactions de devises). C’est probablement cette « évidence » quant à la nécessité de taxer les transactions financières qui fait que nombre de pays ont de tout temps utilisé cette mesure. Les transactions financières sont d’ailleurs encore aujourd’hui taxées au Royaume Uni à un taux de 0.5% (c’est la Stamp Duty Reserve Tax ) !

Cet exemple du Royaume-Uni est certes étonnant mais surtout intéressant car il met en évidence les limites d’un tel instrument dans le contexte actuel d’une finance encore peu transparente. En effet, c’est une taxe qui s’applique aux transactions sur les actions cotées en Bourse donc sur les flux les plus faciles à identifier. Elle ne concerne donc que très partiellement les transactions spéculatives de produits dérivés ou hedge funds . Et pour cause et c’est probablement là toute la limite de l’exercice, la transparence des activités financières est aujourd’hui insuffisante pour qu’une mesure de taxation des transactions financières aussi élaborée soit-elle puisse réellement modifier les stratégies des acteurs financiers. Tout au plus, risque-t-elle de les inciter à réinvestir leurs fonds sur des produits mal comptabilisés et donc qui échapperont à cette taxe c’est-à-dire, les produits dérivés et les hedge funds … Il faut donc en même temps que cette taxe instaurer une véritable transparence des marchés financiers. Cela signifie non seulement d’imposer aux banques et aux acteurs des marchés financiers de tenir à jour leurs livres de comptes, d’y inscrire TOUTES leurs activités mais aussi de vérifier la bonne tenue de ces comptes et le respect des règles. Or, tout cela à un coût (ne serait-ce que pour le contrôle…) pour la collectivité et les Etats qui ne sera pas, à court terme du moins, couvert par la taxe sur les transactions financières !

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