ANALYSES

Corruption : l’Allemagne peut-elle donner des leçons ?

Tribune
28 novembre 2011
Par Pierre Verluise, Directeur de recherche à l’IRIS
Certes, plusieurs affaires de corruption ont récemment défrayé la chronique allemande. Sans prétendre à l’exhaustivité, voici quelques perles.

Lundi 24 octobre 2011, a débuté le procès d’un ancien banquier allemand accusé d’avoir touché des dizaines de millions en pots-de-vin de la part de Bernie Ecclestone, le grand argentier de la Formule 1. Gerhard Gribkowsky aurait perçu en 2006-2007 près de 44 millions de dollars, en contrepartie de la vente des droits de la discipline au fonds d’investissement britannique CVC. Le procès devrait durer jusqu’en 2012.

Ce même 24 octobre, le parquet de Ravensburg a annoncé avoir ouvert une enquête visant un membre du directoire de l’équipementier allemand Tognum soupçonné de corruption et d’abus de confiance dans des contrats d’armement en Corée du Sud. Tognum a reconnu des « actes contraires » aux règles anti-corruption de sa filiale asiatique.

Une semaine plus tôt, lundi 17 octobre, la justice allemande a lancé des poursuites contre cinq personnes accusées de s’être entendues au nom de Deutsche Telekom et Volkswagen pour financer illégalement le club de football de Wolfsburg, propriété du groupe automobile, constituant un délit de corruption.

Mardi 11 octobre, le conglomérat industriel allemand Siemens a annoncé avoir licencié le responsable de ses activités au Brésil en raison de soupçons de corruption pesant sur lui, pour environ 6 millions d’euros. Le Brésil est un important marché pour Siemens qui y a réalisé l’an dernier un chiffre d’affaires de 1,8 milliards d’euros.

Et le 1er juillet, la presse a révélé que la société allemande Ferrostaal était soupçonnée d’avoir versé des pots-de-vin de 72 à 83 millions d’euros à des hommes politiques et hauts fonctionnaires… grecs pour la commande de quatre sous-marins. Comme le monde est petit…

Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois ( Unter Blinden ist der Einäugige König )

Pour autant, la situation de l’Allemagne doit être mise en perspective. L’indice de perceptions de la corruption (IPC) établi par l’ONG Transparency International (TI) place l’Allemagne dans une position moins mauvaise que la France.

L’IPC se présente comme une note de 1 à 10. Comme à l’école, les bons élèves se trouvent proches de 10 et les mauvais à peine au dessus de 1. La moyenne mondiale se situe à 5. En 2010, l’Allemagne affiche un IPC de 7,9 sur 10. Ce qui la place, il est vrai, sur la 10e marche du podium mais classée 15e par TI parce qu’il y a des ex-æquo dans ceux qui la précèdent. Quels sont les pays membres de l’Union européenne moins corrompus que l’Allemagne ? Nous en comptons six : Danemark (9,3 sur 10), Finlande et Suède (9,2), Pays-Bas (8,8), Luxembourg (8,5), Irlande (8).

Chacun aura noté que la France n’a pas été mentionnée… Parce qu’elle affiche un IPC de 6,8 sur 10. Soit 1,1 point derrière l’Allemagne. La tolérance en Allemagne dans les affaires de corruption a baissé depuis qu’un scandale a secoué en 2006 le conglomérat Siemens , avec à la clé un milliard d’euros de condamnations judiciaires. L’Allemagne serait devenue l’un des rares pays à mettre en œuvre de manière active la convention de l’OCDE contre la corruption d’agents publics étrangers.

Surtout, d’autres pays membres de l’UE ont un IPC très inférieur à celui de l’Allemagne. La Roumanie (3,7), la Bulgarie (3,6) et… la Grèce (3,5) sont les pays les plus corrompus de l’Union européenne. Alors, oui, l’Allemagne peut s’inquiéter de la situation en Grèce. Il faut regretter que les autres pays membres et les institutions de l’euro comme de l’Union européenne n’aient pas plus tôt tapé sur les doigts des autorités publiques grecques à l’égard de leur corruption comme des pratiques fiscales frauduleuses de leurs citoyens. Cela nous aurait peut-être évité une partie de la crise de l’euro et ses effets délétères.

Les institutions communautaires ont mis beaucoup trop de temps pour admettre qu’il était urgent de combattre ce fléau. En effet, les élargissements successifs de l’Union européenne, particulièrement en 2004 et 2007, se sont fait au profit de pays qui avaient souvent une solide culture de la corruption. Il suffit de regarder une carte de la corruption dans l’UE pour s’en convaincre. Celle-ci s’organise selon deux gradients : Nord/Sud et Ouest/Est. Globalement, plus un pays de l’UE se trouve au nord, moins il est corrompu. Inversement, plus un pays se place au sud, plus il est corrompu. Et les pays de l’Ouest de l’Europe sont généralement nettement moins corrompus que ceux de l’Est. Chacun aura compris que les pays qui cumulent une position au Sud et à l’Est, soit au Sud-Est, sont les plus corrompus de l’UE. Voir le cas de la Grèce… Après avoir instauré un mécanisme de suivi spécifique pour la Roumanie et la Bulgarie, l’Union européenne a annoncé en juin 2011 qu’elle lançait un plan de lutte contre la corruption dans les pays membres. Celui-ci-devrait prendre – à partir de 2013 – la forme d’un rapport global qui évaluera le niveau de corruption dans les Etats membres.

Les pratiques corruptives de certaines entreprises allemandes sont avérées et doivent être poursuivies devant les tribunaux, mais cela ne saurait pas – malheureusement – suffire à expliquer les bons résultats de l’Allemagne à l’exportation, ni les modestes performances de la France en la matière. S’il fallait en donner la preuve, Transparency International vient de la publier début novembre 2011 sous la forme d’une évaluation des entreprises les moins ou les plus corruptrices à l’exportation. Les entreprises allemandes y sont mieux classées (4e rang, 8,6 sur 10) que les entreprises françaises (11e du classement, avec 8 sur 10)…

La publication par TI de l’IPC 2011, le 1er décembre 2011, apportera cependant de nouveaux éléments. Nul doute qu’il prendra en compte l’écho médiatique des affaires en cours.

* Plus : Carte de la corruption dans l’espace UE-30

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