ANALYSES

Afghanistan : dix ans d’une guerre et l’impasse !

Tribune
6 octobre 2011
En effet, on n’observe pas beaucoup de raisons sur le terrain qui laisseraient entrevoir le début d‘une issue prochaine et rapide à cette guerre longue et coûteuse en vies humaines et en moyens financiers. Au contraire, au moment où la lassitude a de plus en plus gagné l’opinion publique occidentale, où le retrait des troupes est désormais programmé, l’Afghanistan est plus que jamais loin de connaître la paix.

Comment peut-on expliquer qu’une coalition aussi puissante militairement et financièrement que celle engagée en Afghanistan sous l’égide des États-Unis et de l’OTAN, puisse s’enliser dans les montagnes afghanes ? Comment peut-on imaginer que les soldats les mieux équipés et les mieux formés du monde puissent échouer face aux guerriers pachtouns enturbannés et habillés d’un simple shalwar kamiz (vêtement traditionnel afghan), semblant sortir d’un autre âge ?

Il y a d’abord des éléments internes. Les Talibans ont certes été chassés du nord sous les bombardements aériens américains et ont perdu le pouvoir, mais ils n’ont jamais réellement disparu. Devant la puissance de feu de l’armée adverse, en particulier de l’aviation, ils se sont repliés dans leurs zones traditionnelles d’influence, où ils jouissaient d’une solide assisse ethnique. Historiquement dotés d’un sentiment nationaliste très fort, animés d’un islam rigoriste d’un autre âge, radicalisés en contact avec Al-Qaïda, connaissant le terrain qui reste inaccessible, bénéficiant de solidarités ethnique et tribale pachtounes de part et d’autre de la frontière avec le Pakistan, mais aussi de l’aide des services pakistanais, ces combattants légendaires contre les « infidèles », connus jadis par les soldats de l’empire britannique des Indes au XIXème et au début du XXème siècle, n’avaient pas besoin de beaucoup de temps ni de moyens pour se réorganiser pour un nouveau « djihad ». Il est peu de dire que le pouvoir central faible (historiquement, il n’a jamais été fort en Afghanistan), corrompu et arriviste, sans grande légitimité et installé par les grandes puissances à Kaboul, a grandement aidé les Talibans dans leur guerre contre « les envahisseurs ».

Il existe ensuite des raisons externes. Au premier chef, nous trouvons une stratégie militaire inadéquate mise en œuvre par la coalition, marquée par l’arrogance car elle sous estima la capacité des Talibans à reprendre le combat, mais aussi par la méconnaissance de l’histoire et de la réalité ethnique, sociale et culturelle de la société afghane. Georges Bush a privilégié jusqu’au bout la solution militaire. Il ne concevait pas que l’armée la plus puissante du monde puisse perdre cette guerre contre des combattants irréguliers et armés de moyens rudimentaires. Avec lui, nombre d’analystes militaires croyaient à la victoire sur les Talibans. Il suffisait de quelques modifications de tactique en marge et de renforcer des troupes. Or, au fur et à mesure que le temps passait, que le nombre de soldats de l’OTAN augmentait, les Talibans gagnaient en influence et en efficacité. De quelques milliers en 2002, les soldats étrangers ont atteint plus de 140 000 en 2011. De 70 en 2002, l’OTAN en a perdu 710 en Afghanistan en 2010. Limitée dans le sud et l’est de l’Afghanistan en 2002, l’influence des Talibans s’étend aujourd’hui sur trois quarts du territoire.

Après l’élection du président Barak Obama vint le temps de la révision stratégique. Opposé à la guerre en Irak, le président américain a toujours voulu donner la priorité à la guerre en Afghanistan. Après de longs mois de réflexion et de débat entre « les militaires », qui réclamaient 45 000 soldats supplémentaires pour finir la guerre, et « les politiques » qui ne croyaient plus à une victoire militaire, le président a tranché. En décembre 2009, il a défini une nouvelle stratégie américaine en Afghanistan, fondée sur trois éléments fondamentaux. D’abord, l’envoi de 30 000 soldats supplémentaires pour frapper fort et rapidement les bastions des Talibans dans les deux provinces du sud, Helmand et Kandahar. Contrairement aux apparences, Barak Obama ne croyait pas à une victoire militaire sur les Talibans. Il voulait, comme le lui demandait le général Mc Chrystal, le commandant en chef des forces américaines en Afghanistan, les affaiblir pour les contraindre à accepter une solution négociée. Le second élément consistait à renforcer l’armée afghane pour qu’elle prenne en main la sécurité du pays. Et enfin, le président a annoncé que les troupes américaines commenceraient leur retrait dès l’été 2011. Un an plus tard, le sommet de l’OTAN à Lisbonne a adopté le calendrier du retrait des troupes, qui devrait s’achever d’ici fin 2014.

La nouvelle stratégie américaine, plus cohérente qu’une guerre tout azimut sans objectif clairement identifié, est cependant arrivée trop tard. Rien ne s’est passé comme prévu. Certes, le « surge », le renfort des 30 000 soldats, a permis de lancer deux ou trois opérations militaires de grande envergure contre des bastions des Talibans dans le sud, mais sans toutefois les atteindre au point de les affaiblir durablement. Au contraire, ils sont extrêmement mobiles depuis l’été 2010, et ne cessent d‘étendre leur influence dans le nord et le nord-ouest, des régions épargnées jusqu’alors. Les États-Unis consacrent près d’un milliard de dollars par mois pour former une armée afghane capable de prendre la relève demain. Mais personne ne croit à l’efficacité d’une armée à l’image de la société afghane et de cette guerre. Les trop nombreux attentats commis par des officiers et des soldats de l’armée dévoilent une infiltration de l’armée par des insurgés. Certes, les officiers issus de l’ex-Alliance du Nord, hostiles aux Talibans, sont motivés, mais cette motivation n’est pas partagée par l’ensemble des recrues, ce qui explique le taux élevé de désertion dans l’armée.

Quant aux négociations avec les insurgés, les contacts établis entre les responsables américains et les représentants des Talibans risquent d’être interrompus suite à l’assassinat, le 20 septembre, de l’ex-président Burhanuddin Rabbani, alors à la tête du Haut Conseil pour la paix et la réconciliation. La politique de réconciliation nationale menée depuis cinq ans par Hamed Karzaï avait créé un espoir, notamment grâce à la création de ce Conseil, soutenue par les États-Unis. La personnalité de B. Rabbani n’était pas étrangère à cet espoir. Ancien président de la république, chef du parti « Jamiat é islam » (le parti du commandant Ahmad Shah Massoud) et issu du mouvement des Frères musulmans, Rabbani avait une grande influence chez les anti-Talibans de l’ex-Alliance du Nord. Il aurait pu donc jouer un rôle important dans d’éventuelles négociations de paix. Sa disparition a radicalisé les opposants à la réconciliation avec les Talibans aussi bien au sein du gouvernement de Kaboul que chez les hommes forts des provinces du nord et les héritiers d’Ahmad Shah Massoud. Cette radicalisation en cours, nourrie aussi par l’assassinat cette année d’autres figures de l’ex-Alliance du Nord, a obligé Hamed Karzaï à suspendre la stratégie de réconciliation.

L’assassinat de B. Rabbani est à l’origine d’une dégradation inquiétante des relations entre l’Afghanistan et le Pakistan, soupçonné d’être responsable de sa mort. Une réunion tripartite entre l’Afghanistan, les États-Unis et le Pakistan sur la sécurité qui prévoyait la visite à Kaboul du Premier ministre pakistanais, M.Youssouf Reza Guilani, à Kaboul, en début de cette semaine, a été annulée. Au lendemain de cette annulation, Hamed Karzaï s’est rendu en Inde pour signer un accord stratégique avec New Dehli sur les questions de sécurité. Cette évolution ne peut qu’éloigner davantage encore la perspective d’une solution politique dans laquelle le Pakistan, par son influence avérée auprès des Talibans, apparaît pourtant comme un facteur déterminant. Parallèlement à la tension entre l’Afghanistan et le Pakistan, les relations entre Washington et Islamabad traversent également une période de crise. Celle-ci fait suite à la déclaration du général Mike Mullen, le chef d’état major de l’armée américaine, qui a accusé l’armée pakistanaise de soutenir les réseaux de Haqqani, la fraction aujourd’hui la plus active dans la guerre contre l’OTAN, à l’est et dans la région de Kaboul. La réponse pakistanaise a mis à l’unisson le gouvernement et l’opposition par sa fermeté sans précédent. Islamabad accuse Washington de chercher un bouc-émissaire pour son échec en Afghanistan : « Le Pakistan ne peut pas protéger les soldats américains en Afghanistan », affirme le gouvernement d’Islamabad, qui réclame un dialogue plus sérieux entre le Pakistan et les États-Unis. Cette crise confirme ouvertement l’opinion exprimée à plusieurs reprises dans ces colonnes, selon laquelle tout en étant l’allié des États-Unis dans cette guerre, les deux pays ont des intérêts divergents en Afghanistan.

On aurait aimé que la onzième année de la guerre en Afghanistan commence par une note plus optimiste.



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