ANALYSES

‘Le financement de campagnes par de l’argent blanchi est un phénomène « universel ».’

Tribune
30 septembre 2011
L’affaire Karachi a provoqué un tourbillon dans l’entourage du président Sarkozy et les accusations de perception de rétro-commissions fleurissent. Ce phénomène a-t-il toujours existé dans la vie politique française ? De quelle manière légifère-t-on autour de cette pratique en France ?
Effectivement, cette pratique existe depuis très longtemps. Pour preuve, Marcel Dassault, père de Serge Dassault, expliquait déjà dans les années 1980 que lorsqu’il vendait des avions à un pays étranger, il lui fallait acheter à celui-là même du coton ou du blé en contrepartie, l’argent étant en partie rétrocédé par l’entreprise agricole au gouvernement étranger en place. Les rétro-commissions ont donc toujours existé, de même que les aides liées ou déliées, terme plus technique qui explique comment lorsqu’on subventionne des ventes ou des achats, une partie est rétrocédée à des partis politiques.
En regardant de plus près, on s’aperçoit que juste après l’affaire Karachi (1994-1995), une autre affaire de blanchiment d’argent avait cours durant l’année 1996. Il s’agit de celle pour laquelle François Léotard et Renaud Donnedieu de Vabres, proches d’Édouard Balladur durant la campagne présidentielle de 1995, ont reconnu leur culpabilité, en avouant avoir blanchi cinq millions de francs en Italie. Ils ont expliqué que cet argent provenait des fonds secrets des ministères, mais la coïncidence avec l’affaire Karachi, qui se déroulait peu de temps avant, laisse planer le doute. Je m’étonne d’ailleurs que personne ne l’évoque.
Il existe bien peu de législation dans ce domaine, à l’exception de ce qui a été pour interdire les fonds secrets et le financement occulte des partis. Mais ces pratiques n’ont été supprimées que sur le papier, et de nombreux partis politiques continuent d’être financés par les entreprises et quelques fois aussi par l’étranger.

Quelles sont les techniques utilisées pour blanchir de l’argent en provenance des entreprises ou de l’étranger ?
Les techniques sont extrêmement nombreuses, notamment dès lors qu’il s’agit de financements de partis politiques. Il en existe deux principales.
La première est celle du « prêt autofinancé », qui consiste à emprunter auprès d’une banque une certaine somme d’argent, par exemple pour financer une campagne, tandis qu’en même temps l’on dépose le même montant dans une filiale de cette banque, mais dans un autre pays. L’argent liquide en provenance d’entreprises ou de l’étranger est donc transformé en emprunt tout à fait légal, et qui ne sera jamais remboursé puisque la banque se paiera grâce au premier dépôt. Cette technique est celle qu’ont suivi Léotard et Donnedieu de Vabres et qui les a menés à une sanction pénale en 2004 (respectivement 10 mois de prison avec sursis pour blanchiment d’argent et financement illicite du parti républicain et 15000 euros d’amende).
L’autre technique vise à mettre en place des sociétés de conseils, essentiellement en marketing et en communication, créées pour justifier des transferts d’argent, qui financent par la suite des campagnes électorales. L’affaire Urba illustre bien cette méthode, mais tous les différents partis politiques ont déjà utilisé cette technique.

Le financement des partis par ce type de méthodes est-il universel ?
Dans tous les pays du monde, il existe une part occulte dans le financement des partis politiques ; ce phénomène se retrouve aux États-Unis, en Amérique du Sud, en Asie, ainsi qu’en Afrique. Cette pratique est donc malheureusement effectivement universelle, et rejoint toutes les affaires de corruption et de trafic d’influence que des associations comme Transparency International, Sherpa ou encore Anticor dénoncent chaque jour.

Des mesures ont-elles été prises à l’échelle européenne ou a fortiori à l’échelle internationale pour lutter contre ce phénomène ?
L’Europe et l’OCDE notamment y travaillent. Sur le plan international, la plupart des textes concerne la lutte anti-corruption, ce qui répond à une partie du problème, puisque c’est par la corruption que se développe ce type d’actes répréhensibles. En effet, les entreprises qui financent des campagnes électorales s’attendent à un retour d’ascenseur une fois le candidat élu. L’élu peut par exemple commander à une entreprise de BTP qui l’a financé des ronds-points, dont le coût varie entre 300.000 et 1 million d’euros. Si certains sont utiles, d’autres ne sont que de simples retours sur investissements.