ANALYSES

« L’Algérie est consciente qu’il faudra bien, à un moment donné, reconnaître les prochains dirigeants de la Libye. »

Tribune
31 août 2011
Historiquement, quels étaient les liens politiques et diplomatiques entre le président Bouteflika et le colonel Kadhafi ?
Comme Kadhafi est l’un des plus anciens chefs d’État au monde, qu’il a régné pendant 42 ans, et que les relations avec Bouteflika sont très récentes, il s’agissait surtout de relations d’État à État. On pourrait dire que celles-ci n’ont pas toujours été très bonnes, ce qui est un euphémisme. Depuis le milieu des années 1970, les relations sont compliquées entre les deux pays : ils ont une frontière commune de plus 1000 kms, et beaucoup de contestations ont eu lieu sur les ressources hydrauliques et pétrolières, ainsi que sur le bornage des frontières. Ainsi donc, les relations entre les deux pays n’ont jamais été simples, y compris en 1989, lors de la signature du traité de l’Union du Maghreb Arabe (UMA). Le colonel Kadhafi a laissé planer le doute sur la participation de son pays jusqu’au dernier moment, et a plusieurs fois failli faire capoter le traité. Mais il s’est finalement rendu à Marrakech pour participer à la signature.
Les relations avec l’Algérie n’ont jamais été simples, et on ne peut pas dire que les dirigeants algériens aient eu une grande sympathie pour le « Guide » au cours de ses quatre décennies de règne.

L’Algérie, qui a accueilli la famille de Kadhafi, vient de fermer ses frontières avec la Libye. Peut-on considérer ces décisions comme des déclarations de guerre vis-à-vis du CNT ou la preuve d’un soutien sans failles à Kadhafi ?
Ni l’un ni l’autre. Je pense qu’aujourd’hui, la principale préoccupation des Algériens est celle de la sécurité. Depuis six mois, de plus en plus d’armes sont en circulation, et les Algériens sont très inquiets. Il ne faut pas oublier le traumatisme qu’a constitué les dix années de guerres fratricides et le terrorisme, qui continue encore de frapper, comme nous avons pu le constater la semaine dernière avec l’attentat kamikaze commis contre l’Académie militaire de Cherchell.
Les Algériens sont donc très préoccupés par les questions de sécurité, ce qui explique qu’ils tiennent à contrôler eux-mêmes leurs frontières. Le ministère des Affaires étrangères a néanmoins bien précisé qu’il ne s’agissait que d’une fermeture provisoire, ainsi que d’un renforcement du contrôle des garde-frontières entre les deux pays. Si les relations avec le Conseil national de transition (CNT) sont pour le moment difficiles, je ne pense pas que cette décision soit de la défiance vis-à-vis du celui-ci, ni une « déclaration de guerre » ou même un « soutien au colonel Kadhafi ».
Je crois que les Algériens sont parfaitement conscients que les choses sont aujourd’hui en train de changer, et que de ce fait le rapport de force évolue. Ils sont conscients du fait qu’il leur faudra bien, à un moment donné, reconnaître les prochains dirigeants de la Libye, quels qu’ils soient, qu’il s’agisse du CNT ou d’une autre structure.

Si Kadhafi était accueilli en Algérie serait-ce un moyen de déstabiliser la transition libyenne en marche ? Quelles retombées pour l’Algérie ?
Je ne pense pas que les Algériens aient l’intention d’accueillir le colonel Kadhafi. Ils ont recueilli sa famille, dont sa fille Aïcha qui vient d’accoucher ce matin à Alger, son épouse qui n’a jamais joué aucun rôle politique, et son fils aîné Mohammed qui était très effacé. Son autre fils, Hannibal, est un personnage relativement brutal et violent, mais il n’a jamais réellement joué de rôle politique. Par conséquent, je crois qu’il s’agissait surtout là du respect d’une vieille tradition d’accueil entre pays musulmans. Il faut garder en mémoire que tous les dictateurs déchus finissent toujours par trouver des pays d’accueil, à l’image du Shah d’Iran, qui avait été accueilli en Égypte. A cette époque, personne n’avait poussé de cris d’orfraie, malgré la violence et la brutalité dont avait fait preuve son régime. On se souvient aussi de Mobutu, accueilli au Maroc pendant quelques temps, avant d’y mourir.
Les Algériens n’ont aucunement annoncé avoir l’intention de proposer au colonel Kadhafi de l’accueillir. Il semble donc que l’accueil du reste de sa famille soit principalement le fruit d’une action humanitaire.
Toutefois il ne faut pas écarter l’hypothèse, que cela soit aussi l’objet d’un calcul, et que la famille Kadhafi puisse devenir l’objet d’un cynique marchandage entre le gouvernement algérien et le CNT pour obtenir un certain nombre de garanties avant d’envisager de les renvoyer dans leur pays.
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