ANALYSES

Etats-Unis-Amérique latine Barak Obama et la « frontière de cristal », enjeu ou cactus électoral ?

Tribune
18 juillet 2011
Ce ciblage est en cohérence avec la démographie nord-américaine. D’un recensement à l’autre, cette population prend du volume depuis une dizaine d’années. Avec 16% du total en 2011, c’est d’ores et déjà la première des minorités, devant les Afro-américains, les Asiatiques et les Amérindiens. Qui plus est, un flux continu venu du sud nourrit un peu plus chaque année le cercle de cette communauté. Bien que plus modeste, le bassin électoral potentiel qu’elle représente serait de 8,7% des suffrages exprimés, selon l’Association nationale des fonctionnaires latinos (NALEO). Cette réalité démographique et politique aiguise l’appétit électoral de certains, mais suscite aussi chez d’autres un rejet radical. Deux réponses politiques peuvent être et ont été envisagées. Mais l’une et l’autre loin d’être compatibles répondent à des cohérences électorales et identitaires opposées.

L’une privilégie le repli sur soi et la préservation d’une pureté originelle, souvent résumée par l’acronyme wasp (= blanc-anglo-saxon-protestant) . L’intégration de migrants culturellement différents n’est jamais chose évidente. Elle ne l’a jamais été dans aucun pays, pas plus donc aux Etats-Unis qu’ailleurs, en dépit du mythe largement diffusé d’un creuset intégrateur. Il suffit de rappeler ici l’ouvrage fleurant la xénophobie anti-latinos publié en 2004 par l’éminent universitaire Samuel Huntington, Who are we ? . La crise financière et la montée du chômage n’ont rien arrangé depuis 2008. Les courants les plus conservateurs y ont puisé, autour d’une tasse de thé, un discours de repli et d’exclusion qui a reçu beaucoup d’adhésion. Des volontaires ratissent la frontière avec le Mexique pour alerter la police officielle de toute incursion de sans-papiers. Les Etats du sud les uns après les autres, – Alabama, Arizona, Géorgie, Indiana, Utah-, ont adopté des lois sécuritaires.

Mais l’autre versant de ce volet « latino » pousse à une autre approche, électorale si ce n’est électoraliste. Les « hispanos » en situation régulière sont de plus en plus nombreux. Et bien qu’ils soient encore modérément mobilisés par les enjeux politiques nord-américains, ils participent de plus en plus aux votations. Leurs attentes sont sociales. Elles concernent aussi la consolidation de liens avec leurs pays de référence culturelle : Cuba, Mexique, Salvador pour les uns, Porto-Rico pour d’autres. Leurs demandes portent sur la circulation des personnes, les transferts de devise et parfois, sur la solidarité politique.

Au moment de son élection en 2008, Barak Obama ignorait tout, ou presque de cette communauté culturelle, comme de ses territoires d’origine. Il n’avait jamais mis les pieds en terre latine. Son parti, le parti démocrate, traditionnel captateur du vote « latino », grignoté en 2004 par le républicain texan George Bush, lui a rappelé la réalité des chiffres. Considéré comme Afro, et donc ouvert aux minorités Barak Obama s’est attaché dés 2008/2009 à remplir ses devoirs électoraux. Il a procédé, à l’instar de son prédécesseur républicain, à des nominations de « latinos » à des postes de responsabilité. Il a lâché du lest aux Cubano-américains en supprimant les entraves mises par George Bush aux transferts de devises et aux voyages familiaux en direction de La Havane. Il a consacré au Mexique le 16 avril 2009 sa première visite au sud du Rio Grande. Il a enfin visité Porto-Rico à deux reprises. Cuba, Mexique, Porto Rico, les principales composantes de cette communauté ont été ainsi symboliquement reconnues par des gestes concrets et symboliques.

Mais comment négliger l’électorat wasp ? In fine , il pèse lui aussi assez lourd dans la balance présidentielle. La chasse aux clandestins n’a donc pas été abandonnée de 2008 à 2011. En 2009 et 2010 les Etats-Unis ont procédé à près de 770 000 reconduites aux frontières, concernant pour l’essentiel des « hispanos ». La construction d’un mur, séparant l’ALENA développé (Canada et Etats-Unis) de l’ALENA émergent (le Mexique) n’a pas été remise en cause. Pas plus, d’ailleurs, que le renforcement des moyens mis à la disposition de la police des frontières. 1200 soldats de la garde nationale ont été envoyés faire face au Mexique en mai 2010. Une loi été adoptée en août 2010 de façon consensuelle afin de renforcer le contrôle de la frontière. Une demi-douzaine de drones a été déployée. Les demandes d’extradition de délinquants mexicains, mais aussi colombiens, boliviens, péruviens ou dominicains ont été également confirmées. Le statut des sans-papiers n’a pas changé, en dépit des promesses de campagne faites en 2008.

Autre concession faite aux conservateurs, les Etats-Unis ont durci leur approche diplomatique de l’Amérique latine. Barak Obama a certes condamné à chaud le coup d’état militaire du Honduras de juillet 2009. Mais quelques mois plus tard, cédant aux récriminations républicaines, il a reconnu le nouveau régime. Les Etats-Unis n’ont plus, en juillet 2011, d’ambassadeur dans trois pays de l’ALBA, l’Alliance bolivarienne des peuples d’Amérique, Bolivie, Equateur et Venezuela. Les relations avec le Mexique, ont accumulé les récriminations croisées au point que Washington n’a plus là non plus de représentant officiel. Tirant les conséquences de cette situation, le sous-secrétaire d’Etat en charge de l’Amérique latine, Arturo Valenzuela annonçait en juin 2011 qu’il souhaitait retourner à sa profession d’origine, l’université.

A la veille des présidentielles 2012 est-il possible de maintenir ainsi deux fers au feu ? Au vu des décisions prises depuis quelques semaines, un choix a semble-t-il été fait par le président candidat. L’électorat anti-immigré étant plutôt républicain, Barak Obama a tendu la main de façon répétée à la communauté « latino ». De quelle manière ? Il a mis en chantier un projet de réforme pour Porto Rico et promis un référendum. Le 14 juin 2011 il est allé porter cette bonne parole à San Juan, capitale de l’ile. Certes les Porto Ricains ne votent pas aux présidentielles. Mais ce n’est pas le cas de l’importante communauté ayant émigré sur le territoire des Etats-Unis, qui elle, peut mettre un bulletin dans l’urne le 4 novembre 2012. Il a condamné, à défaut d’avoir pu imposer une révision des décisions prises, les lois adoptées par un certain nombre d’Etats contre les sans papiers. Le 29 avril 2011 il a invité et reçu à Washington les têtes d’affiche médiatiques de la communauté « latino ». Le 11 mai 2011 il est allé à la rencontre du petit peuple hispano-mexicain à El Paso. Enfin cerise sur le gâteau le 11 juillet 2011, 160 responsables associatifs « hispaniques » originaires de 25 Etats ont travaillé à la Maison Blanche pour relancer le projet de réforme migratoire. En rétropédalage diplomatique, il a également tendu les mains tous azimuts depuis plus de six mois en direction des chefs d’Etat et des opinions latino-américaines. En mars 2011 il a visité le Brésil, le Chili et le Salvador. Il a, en juillet 2011, demandé aux autorités du Texas de ne pas appliquer la condamnation à mort prononcée à l’égard d’un ressortissant mexicain. Il a reçu avant sa prise de fonction, le 7 juillet 2011, le président élu du Pérou Ollanta Humala, qui il y a peu encore était considéré comme infréquentable par l’établissement wasp .

A défaut d’efficacité immédiate,- le condamné à mort mexicain ayant été exécuté, et les lois contre les migrants maintenues par les Etats les ayant adoptées-, Barak Obama, attend manifestement un dividende électoral de ces gestes répétés en direction de la communauté « hispano », et des dirigeants charismatiques latino-américains. Rendez-vous donc le 4 novembre 2012, pour mesurer les effets de cette politique. La méthode en tous les cas, mélange des genres internes et extérieur, -la diplomatie étant mise à contribution électorale au même titre que la politique sociale-, vient quelque part justifier le propos du romancier mexicain Carlos Fuentes. Le Rio Grande, ou Rio Bravo, c’est selon, est bien « une frontière de cristal ».