ANALYSES

L’indépendance du Sud Soudan et l’enchevêtrement des facteurs de conflictualités

Tribune
11 juillet 2011
Cette indépendance a évidemment une grande valeur symbolique. Elle est la première réelle remise en question du principe de l’intangibilité des frontières énoncée par l’Organisation de l’unité africaine (OUA) et reprise par l’Union africaine (UA). L’indépendance de l’Erythrée répondait, en effet, à une configuration très différente du fait de son histoire précoloniale et coloniale. Officiellement, Khartoum avait déclaré accepter les résultats d’un référendum mené de façon juste. Ce référendum de janvier 2011 entraîne de fait un risque de contagion dans les pays voisins où se retrouvent de telles divisions Nord/Sud, à l’instar du Tchad et du Nigeria.

Le retour des conflits

Cette indépendance, censée stopper les conflits, les voit au contraire ressurgir. La première guerre civile entre le Nord voulant islamiser de force les populations du Sud dura de 1964 à 1973 et aboutit à une autonomie du Sud. La seconde guerre civile de 1983 à 2005 fit au moins deux millions de morts. Elle ne cessa qu’avec l’accord de paix (CPA) de 2005 qui avait défini des règles non respectées de partage du pétrole dont les réserves sont à 80% situées au Sud. La possibilité d’un référendum à venir pouvant conduire à l’indépendance avait été évoquée.

Les conflits ont resurgi à l’occasion de l’indépendance. Les plus violents opposent les forces soudanaises et les « rebelles » du Sud, dans la région contestée d’Abyei et dans les monts Nouba. D’autres conflits se développent avec l’appui de la LRA (armée de Libération du seigneur) le long de la frontière de la RDC et un peu partout sur le territoire du Sud des conflits entre différents groupes ethniques et milices s’étendent. A l’Est se tiennent des conflits de basse intensité entre Khartoum et l’alliance démocratique Nationale (ADN), alliés de l’Armée de libération du peuple soudanais (SPLA), mais aussi les conflits des monts Noubas dont la population est dépossédée de ses terres au profit des Jallaba. Les récents déploiements militaires dans la ville d’Abyei indiquent que le Nord-Soudan n’est pas encore disposé à perdre le contrôle sur le Sud. Ce déploiement s’explique par la non reconnaissance de la frontière liée aux accords de 2005 mais peut aussi être un moyen pour le Nord Soudan de renforcer son pouvoir de négociation(1).

Pluralité des acteurs et enchevêtrements des facteurs de conflits

Il y a multiplicité des acteurs et enchevêtrement des facteurs de conflictualité. Ceux-ci sont à la fois liés aux délimitations des frontières, aux instrumentalisations par Khartoum des différentes factions du Sud, aux conflits ethniques ancestraux, aux jeux des grandes puissances et des pays voisins et surtout aux enjeux pétroliers.

Trois enjeux frontaliers demeurent dans le district d’Abyei, du Nil bleu et des monts Nouba. La région d’Abyei a toujours été une pomme de discorde entre le Nord et le Sud. Les enjeux sont pétroliers et politiques, et le débat sur le tracé des frontières continue d’opposer le Nord et le Sud ainsi que les instances de délimitation (accord de paix de 2005, commission frontalière d’Abyei de 2005, cour permanente d’arbitrage de 2009). Le référendum de la région pétrolifère très convoitée d’Abyei, à la lisière du Nord et du Sud, a été retardé car il était source de conflit entre le NPC et le SPLM. Cette zone pétrolière est de fait toujours l’objet de disputes entre ses habitants majoritaires, les Dinkas Ngoks, éleveurs sédentaires subsahariens proches du SPLA, et les éleveurs nomades arabes Misrayas. Les tensions et conflits ont ainsi une dimension locale . Les oppositions apparaissent entre les agriculteurs et les éleveurs, entre les populations « autochtones » et allogènes, arabes, arabisées et négro africaines. Ces conflits s’enracinent dans les différences de droits d’accès aux ressources, aux revenus ou aux emplois. Elles s’appuient sur des histoires anciennes, prennent des formes religieuses ou ethniques et se traduisent par des affrontements entre forces politiques et factions militaires.

Les enjeux pétroliers sont devenus stratégiques, le Soudan étant le 6ème producteur d’Afrique avec une production de 500 000 barils par jour et des réserves estimées à 5 milliards de barils, soit la moitié du budget du gouvernement soudanais et plus de 90 % des exportations du pays alors que le Sud dispose de 4/5ème des réserves.

Les grandes puissances et les pays voisins sont présents dans le jeu soudanais. Les acteurs internationaux, puissances étatiques et firmes multinationales, agissent au travers des mouvements sécessionnistes, notamment pour le contrôle du pétrole et des eaux du Nil, mais également dans un but de containment de l’Islam ou de lutte contre le terrorisme. Le Nord, soutenu par la Ligue arabe, la Chine et la Russie, peut difficilement accepter cette indépendance sans contreparties, alors que la quasi-totalité des richesses pétrolières se trouve au Sud. Il y a ainsi toujours eu volonté du Nord d’affaiblir politiquement le Sud pour contrôler ses ressources naturelles, vitales pour son développement et la survie politique du régime. Dans ce contexte, la Chine apparait comme un allié particulièrement fidèle de Khartoum : 65% à 80% de la production de pétrole du Soudan revient ainsi quotidiennement à la Chine, qui en retour investit massivement dans les infrastructures soudanaises. Mais la Chine appuie le processus de paix en nouant des bonnes relations avec le Sud Soudan où elle a de gros intérêts pétroliers et de nombreux projets liés au « package deal » : pétrole contre infrastructures (scolaires, santé, hydroélectricité).

Sous quelles conditions le Sud Soudan peut-il se construire dans la paix ?

Le tribalisme attisé par le Nord et le poids des enjeux économiques pourraient conduire rapidement à une nouvelle guerre civile. Le Nord Soudan dispose de nombreux moyens de pression à commencer par le soutien à des groupes rebelles au sud, à la LRA ou par l’asphyxie économique. Le Sud peut-il gérer son indépendance alors même qu’il demeure l’une des régions les moins développées de la planète, et que ses forces politiques et militaires sont divisées (2) ? Le Sud Soudan est un État sans nation avec faible pouvoir centralisateur. Il est défini comme un « prefailed state » ; un État préfailli. Un déploiement de casques bleus éthiopiens a été décidé par les Nations unies fin juin.

En raison d’une forte division des milices et des forces politiques, mais également du fait des forces centripètes des régions pétrolières du Sud, on peut s’attendre à un régime autoritaire du SPLM. Le risque est grand qu’une élite politique capte l’essentiel de la rente pétrolière. Les instances dirigeantes du SPLA à la tête du gouvernement autonome du Sud-Soudan ont formé, lors de la lutte, le parti qui détient aujourd’hui le monopole du pouvoir. Or le SPLA est principalement composé de Dinkas et comporte peu de Nuers ou de Shiluks alors qu’il existe de nombreux conflits locaux fonciers entre les Dinkas et les Shiluks, entre les tribus d’une même ethnie voire entre les sous clans de la même tribu. Le Sud Soudan est une mosaïque ethnique habitant the big tent dans un des Etats les plus économiquement sous-développés du monde.

Deux axes sont ainsi prioritaires pour réduire la conflictualité : un accord de coopération respecté entre le Nord et le sud concernant la partage des revenus pétroliers et les package deal entre fourniture de pétrole et financements des infrastructures. Un processus de construction d’un vouloir vivre collectif et d’un régime politique au Sud évitant des pouvoirs kleptocrates et permettant que les populations et les régions du Sud bénéficient a minima des rentes pétrolières, il est de l’intérêt des puissances occidentales et émergentes ainsi que des pays africains d’appuyer ces deux processus.

(1) L’armée du Nord a pris en juin 2011 le contrôle de la région contestée d’Abyei. Le Kardafan-Sud et le Nil bleu riches en pétrole sont régis par des statuts spéciaux depuis le CPA de 2005. Officiellement le soudan veut désarmer les milices qui ont soutenu les forces sudistes.
(2) Le SPLA est en outre affaibli par la très grande corruption qui règne chez ses membres. La corruption explique en partie le manque de développement du Sud depuis 2005, malgré les pouvoirs qui ont été conférés à ce parti.

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