ANALYSES

Entente cordiale Colombie-Venezuela – L’Amérique latine en coexistence pacifique ?

Tribune
23 juin 2011
Par Jean Jacques Kourliandsky, chercheur à l’IRIS
Diatribes et fractures dépassaient le cadre bilatéral. L’un et l’autre mobilisaient l’histoire et Bolivar, l’hostilité ou l’amitié à l’égard des Etats-Unis, les libertés d’un côté et la souveraineté de l’autre, pour capter des alliés. Les crises locales entraient dans un cycle porteur de fractures régionalisées. Colombie et Equateur brouillés par un grave incident frontalier avaient en 2008 divisé l’Amérique latine. L’année suivante le coup d’Etat militaire du Honduras avait prolongé les clivages. Les alliances antagonistes s’étaient consolidées. D’autres conflits longtemps contenus dans un périmètre bilatéral ont alors été à deux doigts de basculer dans cette bipolarité antagoniste : les querelles frontalières du Chili et de ses voisins, et la dispute entre Costa-Rica et Nicaragua.

Grosso modo on trouvait derrière et avec le Venezuela les gouvernements ayant adhéré à « l’Alliance bolivarienne des peuples de notre Amériques », Bolivie, Cuba, Equateur, Nicaragua. Et de l’autre les pays rassemblés dans une organisation en tous points opposés, ceux de « l’Arc du Pacifique », Colombie, Chili, Mexique et Pérou. Plus de vingt ans après la démolition du mur de Berlin, un rideau tombait au mitan de l’Amérique latine. Les rôles des uns et des autres répondaient à des partitions bien contrastées. Le libéralisme économique et politique d’un camp s’opposait au romantisme révolutionnaire de l’autre. Aux références extérieures des uns les Etats-Unis, répondaient les amitiés iraniennes et syriennes des autres.

Ce mur de café et de canne à sucre était-il plus virtuel et médiatisé que réel ? Les responsables de cette diplomatie antagoniste, croyaient-ils au texte de leur livret, ou jouaient-ils simplement un rôle de circonstance ? Toujours est-il qu’un an après les bruits de botte aux confins de la Colombie et du Venezuela, c’est aujourd’hui une autre musique que l’on entend. Equateur et Colombie sont au mieux. Colombie et Venezuela se sont réconciliés. La page du Honduras a été tournée grâce à une médiation de Bogota et Caracas. Et l’Union des nations d’Amérique du sud (UNASUR/UNASUL), organisation intergouvernementale, créée en contre point de l’OEA (Organisation des Etats Américains), est actuellement dirigée par une sorte de consulat, composé de deux personnalités, dont l’une est colombienne et l’autre vénézuélienne.

Quelles qu’en soient les raisons le constat est indéniable. Les croisés de la radicalité et de la pureté idéologique sont aujourd’hui frustrés, déplacés politiquement et donc mécontents. Qu’on en juge. Côté colombien, Juan Manuel Santos, le nouveau président s’est spectaculairement affiché avec Hugo Chavez. Il lui a remis un délinquant financier réclamé par la justice vénézuélienne. Il a reconnu l’existence d’un conflit intérieur et a fait voter une loi reconnaissant un droit à réparation pour les victimes. Alvaro Uribe, ex-président de Colombie, et ses amis sont montés au créneau pour critiquer vertement ces changements d’orientation. Côté vénézuélien Hugo Chavez s’est montré réceptif et chaleureux envers son homologue colombien. Plusieurs militants présumés des guérillas, FARC et ELN, remis à la police colombienne ont fait les frais de cette entente cordiale inattendue. Les groupes alternatifs de la gauche colombienne ont critiqué la loi de réparation de Juan Manuel Santos tout autant que les extraditions accordées par Hugo Chavez. Le parti Vert colombien bousculé dans ses certitudes a de façon inattendue rejoint les amis d’Alvaro Uribe, au prix il est vrai d’une scission.

Ces évolutions ont été accompagnées par le tiers parti latino-américain de ceux qui, comme pendant la guerre froide d’antan, s’efforcent d’échapper aux polarisations. Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay, ont encouragé les solidarités transversales. Les motivations des uns et des autres ne sont pas nécessairement les mêmes. Il se trouve qu’elles ont convergé. Et qu’elles ont encouragé la réconciliation colombo-vénézuélienne, porteuse de retombées équilibrées sur d’autres sujets jusque là controversés, comme le conflit relatif au Honduras.

Incontestablement ce tournant diplomatique a pesé sur les dernières élections présidentielles péruviennes gagnées le 5 juin 2011 par un candidat, Ollanta Humala, présenté avant 2010, comme un perturbateur, affilié au bloc chaviste. Soutenu par le Brésil, il a reçu l’appoint décisif de « libéraux » péruviens pur sucre, celui l’ex-président Alejandro Toledo et celui du Nobel de littérature, candidat malheureux à d’autres présidentielles, Mario Vargas Llosa. Apaisement, réconciliation, compromis ne supposent pas la disparition des différences. L’ALBA est là et bien là. Il est possible qu’Ollanta Humala y intègre le Pérou. Tout comme l’Arc du Pacifique est lui aussi bien là. Mais le Pérou va en rester membre. Les Latino-américains, d’un bord comme de l’autre, ont trouvé depuis quelques mois avantage à se parler plutôt qu’à s’invectiver. Au grand dam des croisés jusqu’aux boutistes du libéralisme et de la révolution. L’UNASUR, fondée en 2008, a opportunément favorisé arbitrages et dialogue. La pérennisation de ces évolutions vers une coexistence pacifique va sans doute se jouer dans quelques mois, à l’occasion des élections présidentielles vénézuéliennes.
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