ANALYSES

« De la retenue dans la répression » : l’Union européenne, ses État-membres et le vent de contestation du monde arabe

Tribune
13 mai 2011
Le silence assourdissant de l’Union européenne

L’UE aujourd’hui n’est pas à la hauteur de l’organisation telle qu’on la connait. A son silence et à ses preuves d’inaction lors des soulèvements en Tunisie et en Egypte viennent s’ajouter la tiédeur de sa réaction face à la répression perpétrée en Libye. Certes Catherine Ashton, Haute Représentante de l’Union européenne pour la politique étrangère, a exprimé ses inquiétudes et a condamné les différentes parties face aux embrasements au Maghreb et au Proche et Moyen-Orient. Mais les citoyens qui se sont et continuent de se soulever pour réclamer l’application de principes démocratiques, ceux la même prônés par l’Union européenne, doivent s’entendre dire que leur revendication est légitime. L’UE peut-elle encore se permettre de se prononcer à mi-voix sur ce qui se passe à ses portes, sur les questions d’immigration mais aussi sur beaucoup d’autres thèmes ?

La Commission européenne, par la bouche de Michel Cercone, porte-parole de la commissaire aux Affaires intérieures, a en effet exprimé l’extrême inquiétude face aux conséquences que les révoltes pourraient avoir en termes de migrations. Si telle est la réelle préoccupation de l’Union et des États-membres qui la composent face à ces changements géopolitiques, alors il semble que tous peinent à hiérarchiser les problèmes auxquels ils doivent faire face. Il ne s’agit pas de réfléchir sur les moyens de retenir les populations à l’intérieur de leurs frontières, mais bien de leur faire entendre que l’UE ose parler de ce qui change concrètement.

Les États-membres gardent l’initiative

Malheureusement, une nouvelle fois, ce sont les États qui se font entendre avant l’Union. La Pologne a ainsi proposé à la Tunisie de partager son expérience de la transition démocratique. N’ayant ni passé colonial ni intérêts économiques dans la région et ayant eu elle aussi à se défaire du joug d’un oppresseur, la Pologne agit pour « l’après-révolution de Jasmin » par la voix de Lech Walesa qui a déclaré qu’il se rendrait en Tunisie en tant que « révolutionnaire d’expérience ». Le pays prépare un programme exportable destiné à former des journalistes indépendants et les futurs cadres de l’administration, ainsi qu’un cours de préparation aux situations de crises et de conflits pour les hauts fonctionnaires. On ne peut que saluer une telle initiative d’autant plus que la Pologne assurera la Présidence tournante de l’UE au second semestre 2011, ce qui permettra de remettre ces questions à l’ordre du jour et de (re)nouer des contacts avec nos voisins du Sud en leur proposant des domaines d’expertise, sans toutefois leur imposer quoique ce soit.

Dans un registre plus musclé, la coalition à l’initiative de la France pour une intervention en Libye et placée depuis sous le commandement de l’OTAN montre à son tour que ce sont les États qui gardent le monopole de l’initiative en matière de politique étrangère. Qu’on la juge critiquable ou non, cette mission militaire dispose d’un mandat onusien pour le moins intéressant. Intéressant en ce qu’il applique pour la première fois le concept onusien de « responsabilité de protéger », lié à celui de sécurité humaine, tant défendu par Bernard Kouchner. Intéressant également en ce qu’il n’a pas rencontré de veto russe ou chinois pour une intervention dans un État souverain. Intéressant, enfin, parce qu’il a reçu le soutien de la Ligue arabe. Dès lors, l’Union européenne aurait pu faire entendre sa voix. Mais les luttes intestines entre ses États-membres, et en premier lieu l’abstention de l’Allemagne lors du vote de ce mandat, l’en a une nouvelle fois privé.

La question « EUFOR-Libya »

Toutefois, il semble que l’Union européenne n’ait pas dit son dernier mot et cherche à être visible sur la scène internationale et en particulier libyenne par le biais d’« EUFOR Libya ». Cette mission, dont les modalités d’application et de planification sont toujours en discussion, a pour objectif d’apporter un soutien à l’assistance humanitaire au peuple libyen. Les militaires déployés de tout temps par l’Union semblent cantonnés à un rôle de protection et d’aide humanitaires, seuls domaines où les États-membres parviennent à trouver un consensus et qui ne nécessitent pas de prises de décision urgentes. L’UE s’est vue dépassée et la montée au créneau de la France, suivie du Royaume-Uni, a une nouvelle fois montré qu’en matière de projection de forces, seuls ces deux États ont les possibilités matérielles et politiques d’intervenir sur des théâtres éloignés de la Vieille Europe. L’adoption de cette mission s’est par ailleurs heurtée aux préoccupations émanant de la délégation suédoise et de Lady Ashton, qui ne souhaitent agir qu’après approbation de l’ONU. L’UE a besoin de temps pour intervenir. Ce à quoi se prêtent peu les périodes de crise.

Cette mission permettrait également à certains pays, à l’instar de l’Allemagne, de renouer avec la politique étrangère européenne. Le ministre allemand des Affaires étrangères, Guido Westerwelle, a ainsi réitéré que « l’Allemagne ne participera pas à la guerre en Libye » mais que Berlin était « prête à aider à atténuer les conséquences de cette guerre pour la population ».

Feu l’Union pour la Méditerranée (UpM) ?

Au-delà de ces affrontements diplomatiques, l’onde de choc aura certainement fait au moins une victime en Europe : l’UpM. Mais elle était déjà souffrante : les États arabes ne croient plus en cette Union qui aura duré le temps d’une photo en 2008, et les pays d’Europe du Nord et de l’Est voient mal leurs intérêts dans la région. Or pour sa propre sécurité et son propre développement, l’UE a besoin de dessiner un avenir qui sera commun avec son Sud. Il faut refonder l’UpM et imaginer une nouvelle politique économique et commerciale pour favoriser la croissance de ces démocraties naissantes. A l’instar des États-Unis en 1947, l’UE pourrait proposer un plan Marshall à destination de ses voisins méditerranéens afin de ne pas enliser l’élan démocratique de ces pays et de les voir sombrer dans les difficultés inhérentes à toute transition démocratique si l’amélioration économique n’accompagne pas la démarche. Il a manqué ce discours d’appui à la transition. Après le processus de Barcelone et l’UpM, les peuples de la Méditerranée n’accepteront pas un troisième échec.