ANALYSES

Du poids des agences de notation

Tribune
18 mars 2011
Par Adrien Gévaudan, étudiant en Géoéconomie et intelligence stratégique à IRIS SUP’
Lors d’une crise, la première chose que l’on fait est de chercher les coupables. Peu importe leur culpabilité réelle, l’essentiel réside dans la pétition de principe. Identification arbitraire, condamnation orale, punition fictive ; triptyque populo-politicien fondamental dans les relations internationales contemporaines. En pleine crise financière dite des « subprimes », les responsables furent vite trouvés : les agences de notation. Les banques, bien entendu, demeuraient coupables d’avoir spéculé allégrement en pensant pouvoir échapper aux risques du marché ; mais ce sont les agences de notation qui n’ont pas joué le rôle qui était le leur, à savoir évaluer objectivement l’état économique d’un acteur. Il n’est pas nécessaire de revenir en détail sur toutes les polémiques qui ont agité le monde médiatique à ce propos. Conflit d’intérêt, déficit d’indépendance, absence de mécanismes de contrôle, opacité des méthodes d’évaluation, etc ; les problèmes ont été identifiés, des solutions trouvées et non-appliquées.

Est-ce à dire que la crise économique n’a eu aucun effet sur le poids des agences de notation dans l’environnement macroéconomique mondial ? L’échec du pouvoir politique à astreindre les agences de notation à une profonde réforme de leur fonctionnement a-t-il conduit à un statu quo en la matière ?

Bien au contraire. Contrecoup de la médiatisation de la crise économique et de l’hémorragie d’articles, rapports et autres livres sur le sujet, les agences de notation ont acquis une célébrité qu’elles-mêmes n’avaient pas anticipée. Avant 2006, rares étaient les non-avertis à avoir conscience ne serait-ce que de l’existence d’agences de notation. Encore plus rares étaient les articles de grands quotidiens généralistes sur le sujet.

Aujourd’hui, la conscience de l’existence de ces structures est largement répandue. Il ne se passe pas un jour sans que la rubrique Économie du Monde n’évoque les noms de Fitch, Moody’s ou Standard and Poor’s. Diffusion de la connaissance ou bien conséquence néfaste de la médiatisation à outrance, le fait demeure que les agences de notation ont désormais un écho considérable auprès de l’opinion publique. Au moindre communiqué d’une des trois institutions fait suite une dépêche AFP quasi-immédiate et une reprise-éclair dans les grands médias. On ne compte plus les titres accrocheurs : « Moody’s dégrade d’un cran la note de l’Egypte->http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2011/01/31/04016-20110131ARTFIG00428-moody-s-degrade-d-un-cran-la-note-de-l-egypte.php] », « [Standard and Poor’s plombe le Japon->http://www.boursier.com/actualites/news/asie-sp-plombe-le-japon-418618.html] », « [Fitch pourrait décoter des banques en Irlande, Grèce et Portugal », etc. Il ne se passe pas un jour sans que les médias n’évoquent ces structures condamnées il y a peu pour leur responsabilité dans l’occurrence de la crise économique de 2007.

Loin de limiter leur influence, les politiques ont donc braqué les projecteurs sur ces agents incontrôlés, et les médias leur ont conféré une légitimité factice. Le découplage entre nécessité d’informer et soumission aux effets de réseau pose la question de la responsabilité des médias dans la constitution de bulles informatives pouvant conduire à la surexposition de certains sujets-produits. Le problème est que les citoyens partent du principe que si un problème est évoqué, il sera traité, et donc solutionné. Mais rien n’est moins vrai. La surexposition médiatique est devenue l’objectif de certains politiques, qui souhaitent donner l’impression du mouvement plus que véritablement changer les choses. En cela réside l’explication de l’immobilisme actuel.

Cela se vérifie aux Etats-Unis, où le Président Obama, tout en affirmant vouloir tout faire pour empêcher que les banquiers renouvellent les erreurs du passé, ne modifie en rien la (dé)réglementation qui a permis à la crise d’advenir ; pire, les principaux conseillers de Bush (Tim Geithner, Ben Bernanke, etc), dont les positions idéologiques ont mené à la crise, sont toujours en place. Idem en France : le Président Sarkozy multiplie les interventions afin de donner l’illusion d’une action volontaire, mais a parfaitement conscience de l’inutilité de son action face aux intérêts de plus grandes puissances. Les volontés réformatrices affichées dans le cadre du G20 sont condamnées à rester lettre morte.

Ce pseudo-volontarisme politique perpétue un état de fait qui a été à l’origine de la crise de 2008. Plus encore : en surexposant les sujets économiques en raison de la situation actuelle, le monde politico-médiatique accorde une importance démesurée à des structures dont il a été prouvé que leurs actions étaient dangereuses.

La question qui se pose est donc : comment parler de « reprise » quand rien n’a changé ?
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