ANALYSES

Oman : « On est loin d’être face à un ordre dictatorial. »

Tribune
11 mars 2011
Par Barah Mikaïl, directeur de recherches Afrique du Nord/Moyen-Orient à la Fondation pour les Relations Internationales et le Dialogue Extérieur
Le Sultan Qabous, au pouvoir depuis 1970, est-il visé par les manifestations? Pourrait-il être renversé à terme?

Il y a évidemment une forme de fonctionnement absolutiste dans le Sultanat d’Oman. Une chambre bicamérale a été instituée par Qabous, certes ; mais elle est loin de concentrer en ses mains l’ensemble des pouvoirs législatifs. Le gouvernement, pour sa part, répond à ses seules orientations, que ce soit sur les plans interne, régional ou international. Pour autant, on est loin d’être face à un ordre dictatorial à Oman. Depuis qu’il a renversé son père, en 1970, le Sultan Qabous a certes été confronté à quelques mouvements de contestation et tentatives de coups d’état, mais de manière générale, la frange la plus large de la société paraissait assez bien s’accommoder de sa gestion des perspectives, quand bien même celle-ci répond à un fond de type féodal. Cependant, maintenant que la machine régionale de la contestation populaire a été initiée au départ de la Tunisie, il n’y avait pas de raisons que les Omanais, qui souffrent de chômage et d’une condition économique moyenne bien en-deçà de ce que l’on voit chez l’essentiel de ses voisins du Golfe, restent les bras croisés. On le voit d’ailleurs à la nature de leurs revendications : ils demandent jusqu’ici une amélioration de leur condition socio-économique, non le renversement du Sultan. Cela ne garantit évidemment pas son immunité à Qabous, et les précédents régionaux nous ont montré combien les sables du Moyen-Orient pouvaient être mouvants. Mais sauf à ce que les manifestations dans le pays connaissent un embrasement soudain, le Sultan a des chances de se maintenir au pouvoir. La contrepartie à cela passe cependant par des réformes substantielles, et l’injection plus importante de fonds en faveur des citoyens.

Cette capacité du Sultanat à faire des concessions pour répondre à la colère de son peuple suffira-t-elle au pays d’éviter une révolution de grande ampleur ?

Je crois que la situation n’est pas aussi problématique dans le Sultanat qu’elle ne l’est au Bahreïn ou au Yémen. Dans ces deux derniers pays, des tensions sociales fortes avaient précédé depuis longtemps les mouvements de contestation qui ne sont toujours pas retombés à ce jour. De même, les manifestants de l’un et de l’autre de ces pays n’hésitent pas à contester les figures fortes de leurs pouvoirs, voire la nature de leurs régimes, ce qui n’est pas vraiment le cas à Oman. On ne peut pour autant se hasarder à avancer que la situation omanaise donnerait une image de type « bon enfant » en comparaison avec d’autres scènes régionales ; les impulsions soudaines restent d’ailleurs possibles. Cependant, à l’heure qu’il est, le caractère sporadique des manifestations, quand bien même il s’impose progressivement à des secteurs de plus en plus sensibles du pays (sociétés d’Etats, rassemblement devant le siège de la télévision publique, etc.), paraît pouvoir être maîtrisé à terme. Il ne faut d’ailleurs pas oublier que le Sultan le prend très au sérieux, et qu’en annonçant un remaniement gouvernemental d’ampleur, il essaie de donner des gages solides aux contestataires.

Pourrait-on avoir des réactions similaires de la part des gouvernements des autres pays du Golfe tel que le royaume de Bahreïn ou encore en Arabie Saoudite et au Koweït où de nombreux appels à manifester ont été lancés ?

Oui, ce d’autant plus que le mouvement de réformes de certains politiques et pratiques a déjà été engagé dans ces pays. Le Koweït fait un peu exception ici : les activités de son parlement donnent régulièrement lieu à des mises en accusation de membres du gouvernement, ce qui fait d’ailleurs dire à beaucoup de Koweïtiens qu’ils seraient l’exemple le plus abouti en matière d’activité démocratique dans la région. C’est pourquoi la chute de la famille au pouvoir ne semble pas devoir y être au rendez-vous à l’heure qu’il est.
Côté bahreïni, même si le mouvement des contestations n’a pas connu son aboutissement à ce jour, on peut penser que le pire est passé ; cela étant dit, les évolutions les plus intéressantes restent à venir dans ce pays, et il sera intéressant de voir de quelle manière les partis traditionnels de l’opposition – qui sont loin d’être à l’unisson sur l’ensemble de leurs revendications – réussiront à améliorer leur posture en terme de représentativité et d’obtention de garanties et concessions de la part de la famille au pouvoir.
En Arabie saoudite, des possibilités de soulèvement existent tout aussi bien, certes, mais il y a fort à parier que le pouvoir a pris toutes les garanties possibles pour étouffer tout mouvement violent de contestation. La sociologie même et la configuration de ce pays font d’ailleurs que la famille royale a su jusqu’à présent par quels moyens maintenir sa stabilité. Pour le reste, les Al-Saoud ont un avantage considérable : celui d’avoir une manne pétrolière et des ressources financières qui leur ont souvent permis de compenser aisément les déficits prévalant en termes politiques. Mais là encore, il semble que l’Arabie saoudite ne pourra pas faire l’économie d’un agenda de réformes encore plus poussé que celui annoncé récemment par le roi Abdallah, sans quoi une grogne pourrait effectivement vite gagner des segments larges de la société.

D’une manière générale, comment les gouvernements et les médias du Golfe ont-il communiqué auprès de leur population autour des révoltes qui secouent le monde arabe ?

En termes d’information, les médias nationaux ont bien sûr évoqué ces mouvements, mais sans pour autant s’y attarder. Concernant les chaînes traditionnelles d’information, les choses sont quelque peu différentes ; al-Jazeera et al-Arabiya, les deux mastodontes régionaux de l’information, ont consacré des couvertures spéciales à ces événements ; mais c’est incontestablement la chaîne al-Jazeera, dans ses deux variantes anglaise et française, qui emporte la palme en la matière. Il faut cependant préciser que les contraintes de type politique n’ont pas été totalement absentes de ses considérations ; il suffit pour s’en convaincre de voir que, pendant qu’elle a dédié son antenne aux soulèvements en Tunisie, en Egypte et maintenant en Libye, al-Jazeera a été plus discrète sur la situation au Bahreïn voisin.
Mais de manière générale, chacun a communiqué indirectement, et à sa manière, en annonçant des réformes qui étaient une manière de dire « nous vous avons compris ». Evidemment, cette même phrase n’avait pas réussi à sauver Ben Ali en son temps ; mais c’est peut-être la raison pour laquelle beaucoup des dirigeants de la région préfèrent, quand ils le peuvent, faire fi de toute rhétorique faisant directement référence à ces événements, et mettre en application des mesures qu’ils interprètent comme étant des décisions naturelles émanant de leur propre esprit supposément réformateur. Evidemment, cette posture ne leurre personne pour autant.
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