ANALYSES

Après Cancun tout reste à faire, surtout pour les pays industrialisés

Tribune
5 janvier 2011
Par [Sarah Lacarrière->http://www.iris-france.org/cv.php?fichier=cv/cv&nom=lacarriere], chercheur à l’IRIS
« On a sauvé le processus, pas le climat »

Après le fiasco politique de Copenhague, la négociation était reprise en main par les techniciens, et le niveau d’ambition très faible. L’accord de Cancun permet de réaffirmer les objectifs de Copenhague, et ce dans un cadre élargi de légitimité. A Copenhague ce sont les chefs d’Etat qui avaient âprement négocié en vase clos l’accord final avant de le présenter au reste des pays parties à la Convention. A Cancun tout le monde a été consulté et a endossé l’accord final. Certains y voient le sauvetage du processus multilatéral, un succès salvateur pour les Nations Unies.
Il faut d’ailleurs utiliser le pluriel et parler « des » accords de Cancun, ce qui confirme la tendance initiée à Copenhague d’avancer « par chapitres ». Cancun a permis de jeter les bases de l’architecture d’un futur fonds vert permettant de réunir 100 milliards de dollars par an à partir de 2020. Le mécanisme REDD+ sur la protection des forêts est également réaffirmé. Les parties ont aussi réussi à s’accorder sur les fondements d’un système de vérification des engagements pris, jusqu’alors un fort point de crispation pour la Chine. C’est l’habilité de la présidente de la délégation mexicaine, Patricia Espinosa, qui a permis un tel succès à Cancun, grâce à un « coup de magie » doublé d’un « coup de poker » (1). Coup de magie grâce aux formules suffisamment vagues et ambigües pour faciliter le compromis, coup de poker et leçon de médiation en proposant à tous les parties un texte non négociable, quitte ou double . Et surprise, tout le monde a signé !
Mais après les réjouissances, place au réalisme. Tout le monde avait intérêt à un accord à Cancun pour entretenir le processus. Mais les mesures concrètes nécessaires pour sauver le climat n’ont pas été prises. Le volet atténuation, en particulier l’inscription d’objectifs concrets de réduction d’émissions, est encore une fois reporté sine die . Le sursis supplémentaire obtenu pour le protocole de Kyoto est le signe de divergences profondes, y compris entre les pays industrialisés, qui devraient peser lourdement dans la route vers Durban, puis Rio. Cancun réaffirme certes haut et fort l’objectif des 2°C, mais les spécialistes et scientifiques s’alarment ; les engagements pris à ce stade sont largement insuffisants pour prétendre à un tel scénario.

Affirmation du leadership des pays émergents

A Cancun les pays émergents ont joué la stratégie des concessions et de la conciliation, ce qui renforce leur influence au sein des pays en développement et leur donne un avantage confortable pour la suite du processus. Après le sommet de Copenhague, des voix se sont élevées côté pays industrialisés pour proposer, compte tenue de la paralysie inhérente au processus onusien, de se saisir de ces questions dans des cadres plus restreints de négociation, le G20 en particulier. Ce discours a bien entendu été très mal perçu par de nombreux pays vulnérables et déjà marginalisés dans la négociation internationale. Les pays du groupe BASIC (Brésil, Afrique du Sud, Inde et Chine) se sont appliqués à émettre des réserves sur cette tendance, notamment en restant pour certains très ambigus dans leur soutien à l’accord de Copenhague, Chine et Inde en tête. Cette opération de séduction, dont Cancun a constitué un point d’orgue, permet de dépasser les tensions nourries par des intérêts divergents au sein du groupe du G77, un groupe qui est très hétéroclite. En effet, les pays émergents portent la responsabilité présente et future des émissions mondiales et leur refus de prendre des engagements chiffrés de réduction entre directement en conflit avec les intérêts de certains pays en développement, puisque sans cela l’objectif des 2°C est un doux rêve.
Ainsi les pays émergents ont joué un rôle très important dans le compromis dégagé à Cancun. L’Inde s’est montrée volontaire pour débloquer certaines situations, par exemple en convaincant la Chine d’accepter les formules générales pour un système de vérification. L’Afrique du Sud et le Brésil avaient pour leur part tout intérêt à la relance du processus en vue de la préparation des prochaines échéances, à Durban l’année prochaine, puis à Rio en 2012. Cette stratégie d’influence et offensive du BASIC met les pays industrialisés au pied du mur, désormais contraints d’agir pour ne pas porter seuls la responsabilité d’éventuels échecs à venir.

Le blocage provient en premier lieu de la position américaine dont l’inertie pèse lourdement sur la dynamique globale, et d’ici Durban cela a peu de chances de changer sensiblement. Sinon et surtout, le dossier incontournable sur la route de Durban est celui du protocole de Kyoto. Le Japon a exprimé avec fermeté, soutenu par le Canada et la Russie, son rejet d’une prochaine période d’engagement si d’autres mécanismes ne viennent pas contraindre les émissions présentes et futures, et donc les Etats-Unis et les grands émergents. L’Union européenne est elle aussi divisée sur ce sujet. Tout reste à faire pour les pays industrialisés qui, eux aussi, sont loin de constituer un bloc homogène dans la négociation climatique.

(1)« Optimisme après l’accord sur le climat à Cancun », Le Monde, 12 décembre 2010

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