ANALYSES

Corée du Nord : la transition dynastique en marche

Tribune
15 décembre 2010
Par Marc Verzeroli, diplômé de l’ISRIS
En septembre 2010, une conférence exceptionnelle du Parti des travailleurs est ainsi venue confirmer ce que les spéculations laissaient entendre depuis plusieurs mois : Kim Jong-un, troisième fils de Kim Jong-il, a été nommé général quatre étoiles des Forces armées populaires, officialisant la procédure de transfert de pouvoir et lui conférant une autorité sur les militaires. Il a également été élu membre permanent du Comité central et vice-président de la Commission militaire du parti. La sœur de Kim Jong-il, Kyung-hui, a été promue au même grade de l’armée. Son mari, Jang Song-taek, est le numéro deux officieux du régime. Les visites de Kim Jong-il en Chine l’été dernier, alors que Jimmy Carter était à Pyongyang, la précipitation et la publicité des nominations traduisent la nécessité d’aller vite. Le Dear Leader est en très mauvaise santé, bien plus que ne le laissent paraître ses apparitions publiques.


Ces nominations et cérémonies officielles ont pour but d’assurer la continuité d’un régime qui se maintient tant bien que mal depuis plus d’un demi-siècle. La Corée du Nord procède aussi à ses traditionnelles gesticulations : essai nucléaire en mai 2009, torpillage du navire sud-coréen Cheonan en Mer Jaune en mars 2010, puis, dernièrement, mise en évidence d’un nouveau site nucléaire et bombardement de l’île sud-coréenne de Yeonpyeong. Certains analystes espéraient un assouplissement de la position nord-coréenne, Kim Jong-un ayant étudié en Suisse et étant potentiellement plus « libéral » que son père. L’importance croissante de Jang Song-taek, perçu comme un possible réformateur économique, au sein du régime, était porteuse d’espoir. Au contraire, ces péripéties montrent que le régime, s’il est entré dans une phase de transition, n’a pas pour autant l’intention de s’ouvrir davantage, ni de procéder à des concessions.


Le comportement des autorités nord-coréennes traduit donc une continuité mais pas seulement. Derrière une stratégie visant à assurer la pérennité du régime, se profilent des changements plus profonds.

Depuis la transition démocratique sud-coréenne, au tournant des années 1990, les relations Nord-Sud n’ont jamais été aussi mauvaises. Dernier épisode en date, le pilonnage de l’île de Yeonpyeong constitue un nouveau niveau d’escalade de Pyongyang. Jamais la Corée du Nord ne s’est rendue coupable d’actions guerrières aussi flagrantes, et c’est la première fois depuis la fin de la guerre et l’armistice de 1953 qu’elle procède à des tirs d’artillerie sur le territoire de son voisin, amorçant ainsi une des ruptures caractérisant le processus de succession.

Le changement dans la continuité
Au-delà de la santé de son Cher dirigeant, le régime nord-coréen lui-même semble en bout de course dans sa configuration actuelle. Hwang Jang-yop et Jo Myong-rok, respectivement inspirateur – réfugié à Séoul – de la doctrine du Juche (1) et ancien tuteur de Kim Jong-il pour l’un, et premier vice-président du puissant Comité de la défense nationale pour l’autre, sont récemment décédés. La plupart des dignitaires ont quatre-vingts ans ou plus. La purge opérée le mois dernier dans les rangs du parti et de l’armée vise ainsi à introniser des personnalités plus jeunes et plus loyales à Kim Jong-un.

C’est aussi un moyen pour lui de s’affirmer. Des analystes ont évoqué l’hypothèse qu’il ait ordonné le torpillage du Cheonan, pour satisfaire les militaires, gagner leur respect, renforcer son autorité, rassembler et se placer sur la scène internationale. Le bombardement de Yeonpyeong s’inscrit dans la même logique.

L’architecture potentielle du futur leadership est une autre rupture. Les nominations de Kim Jong-un, mais aussi de son oncle et de sa tante, laissent à penser que le régime s’achemine vers une structure collective. Cela vise d’abord à renforcer l’emprise familiale, mais ce triumvirat et, plus largement, ce processus, ne sont en route que depuis peu. Ainsi, nul ne sait comment le régime et la société fonctionneraient si Kim Jong-il décédait rapidement. Pour la première fois dans l’histoire du pays, le pouvoir ne serait pas tenu par un seul homme fort mais se répartirait, en quelque sorte, entre plusieurs centres, avec à sa tête un non membre de la lignée Kim. Jang Song-taek disposerait du pouvoir effectif, assurant une régence avant l’ascension réelle de Jong-un. Kim Kyung-hui permettrait de garantir la lignée familiale. Il s’agirait de compenser l’inexpérience de Jong-un et de favoriser son acceptation, notamment par les militaires, ce que Kim Jong-il cherche actuellement à faire en ménageant la nomenklatura et en composant au mieux avec les organes qui constituent l’essence du régime, au sein desquels s’opère une réorganisation.

Kim Jong-il aurait quelque peu renoncé à sa doctrine Songun , par laquelle il avait choisi d’asseoir son pouvoir, qui place l’armée et le Comité de la défense nationale, dont il est le président, au centre du régime, au détriment du parti. Pour lui, le parti était responsable de la faillite du pays et seule l’armée, sous son contrôle, pouvait garantir la survie du régime. Mais la situation ne s’est pas améliorée et Kim Jong-il doit en supporter toutes les responsabilités. Il aurait donc choisi de rétablir le rôle décisionnel du parti, ainsi qu’une certaine forme de centralisme démocratique, et de se placer en retrait, de manière à protéger son autorité et faciliter la transition. Au cours de celle-ci, le parti peut jouer un rôle important comme source de légitimité et de soutien populaire, ce qui explique aussi la place attribuée à Jong-un en son sein. En outre, la Chine, qui semble avoir donné son approbation à la succession, souhaite renforcer les liens parti-parti afin de consolider le régime.

Incertitudes et expectative

La véritable rupture pourrait être le moment de la mort de Kim Jong-il. De réels risques de fragilité du nouveau leadership et de luttes de pouvoir en dépendent, notamment si la succession n’est pas encore actée par les élites. En tout état de cause, Kim Jong-un n’aura ni l’âge, ni l’expérience et ne bénéficiera pas du même délai que son père, qui a été préparé au pouvoir dès les années 1970. Actuellement, le temps joue pour Kim Jong-il et son régime, en ce qu’il permet d’avancer sur la succession. Les mois à venir seront toutefois déterminants.

Sur la scène internationale, il est peu probable d’assister à un assouplissement de la part de la Corée du Nord durant le processus de transition. Pour consolider celui-ci et continuer de détourner l’attention de son peuple vers l’extérieur, il n’est pas impossible que le régime s’adonne à de nouvelles provocations, d’autant que cela n’a pas de réelles conséquences pour lui. Comme souvent, les dirigeants nord-coréens ont la main, tant dans leurs relations avec la Corée du Sud, qui ne s’amélioreront pas d’ici 2012 et la fin du mandat du président Lee Myung-bak, qu’avec le reste de la communauté internationale.

Enfin, la question de l’effondrement du régime doit être modérée, même si Jong-nam, le fils aîné de Kim Jong-il, aurait confié à un officiel sud-coréen que l’implosion du pays était en cours. Bien des observateurs pensaient que le régime ne survivrait pas à la chute de l’URSS, ni à la mort de Kim Il-sung. Il n’en a rien été. Toutefois, le mécontentement semble grandir parmi la population nord-coréenne, notamment envers Kim Jong-un et sa supposée agressivité, des sources d’électricité ayant été réquisitionnées deux jours avant l’attaque de Yeonpyeong et le prix des denrées alimentaires étant en hausse.
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